Séminaire Praxitexte : interventions de Kathie Birat (PR émérite, Etudes américaines, IDEA-UL) et de Pei-ci Li (UL, Crem, Praxitexte)
équipe Praxitexte
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"La parole se porte bien : la contribution de Zora Neale Hurston à la notion de porte-parolat dans la littérature et l’ethnographie africaine-américaine"
Intervenante : Kathie Birat (PR émérite, Etudes américaines, IDEA-UL)
Cette communication s’intéresse à la romancière et anthropologue Zora Neale Hurston (1891–1960) en tant que porte-parole des Africains Américains mais également en tant que sujet possible d’une réflexion sur la notion même de porte-parolat. Hurston, une figure importante de la « Renaissance de Harlem », avait reçu une formation d’anthropologue auprès de Franz Boas à Barnard College. Si elle n’était pas la première femme africaine-américaine à étudier l’anthropologie à l’université (l’anthropologue Lyne Bolles en a compté sept avant 1967) son activité littéraire et académique à multiples facettes (elle publia des romans, des nouvelles, des essais, des pièces de théâtre, mais également des articles et des livres consacrés au folklore africain-américain et au vaudou caribéen) lui donne une place particulière dans le champ des études africaines-américaines. La variété même de ses publications – entre fiction et recherche académique – suggère l’intérêt d’une étude de ses productions à la lumière de la notion de « porte-parole ». Ce point de vue présente d’autant plus d’intérêt à un moment où, en particulier aux Etats-Unis, la peur de ce qu’on appelle « cultural appropriation » rend le porte-parolat compliqué en érigeant l’authenticité en épouvantail. Personnage complexe, controversé, paradoxal, Hurston abordait son rôle d’écrivain et d’anthropologue avec une liberté parfois déconcertante. Comme l’explique Wendy Dutton dans un article consacré à Tell My Horse (son travail sur le vaudou caribéen), elle écrivait souvent à la première personne en affichant son penchant pour un style poétique, une tendance qui ne renforçait pas sa crédibilité scientifique. Mais cette liberté constitue l’intérêt même de sa façon de concevoir son rôle de porte-parole de son propre peuple, à la fois sujet et objet d’une énonciation ethnographique.
Je propose d’aborder le porte-parolat de Hurston par l’examen d’un texte récemment publié pour la première fois, Barracoon. Ce texte, basé sur les entretiens que Hurston avait réalisés en 1927 avec un ancien esclave nommé Kossola, fut refusé par plusieurs éditeurs sous prétexte que le public n’accepterait pas de lire un livre écrit « en dialecte ». Le texte produit par Hurston ressemble aux récits d’esclave, dont un grand nombre ont été publiés jusqu’à la Guerre de Sécession dans le cadre de la campagne pour l’abolition de l’esclavage. Comme le fait remarquer Lynda Hill dans son étude du texte, Hurston a laissé Kossola « raconter sa propre histoire à sa propre manière », accordant ainsi à l’ancien esclave le rôle de porte-parole de son peuple à travers sa propre vie. En ayant choisi d’interroger Kossola, elle s’était attribuée à elle-même le rôle de porte-parole par un travail d’écoute, d’échange (le partage des pêches et des pastèques devient un leitmotif) et surtout d’édition. Le retard dans la publication du livre et la préparation de l’édition actuelle par Deborah Plant témoigne de la dimension temporelle du porte-parolat, le liant ainsi à la notion de transmission et au rôle des ancêtres et des passeurs. On ne devient porte-parole qu’en acceptant la fragilité de la parole et la nécessité de la « porter » d’une façon qui ne la transforme pas en cercueil, mais qui au contraire la préserve en lui permettant de vivre, de circuler, de respirer. En partant d’une réflexion sur les auteurs des récits d’esclave en tant que porte-parole et les problèmes posés par les récits de vie publiés au XVIIIème et surtout au XIXème siècle, je commenterai la façon dont Hurston a aidé à façonner la notion de porte-parole et à assouplir et élargir la possibilité pour les Africains Américains de devenir les porte-parole de leur peuple. Je mettrai l’accent sur sa sensibilité à la notion d’oralité (Plant souligne sa capacité à « produire un texte écrit qui préserve l’oralité de la parole »), sa conception de la culture orale comme échange et partage, et surtout sa sensibilité à la langue comme le vecteur qui porte réellement la parole.
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"Analyse critique du discours sur le mouvement #MeToo dans trois journaux à Taïwan"
Intervenante : Pei-ci Li (UL, Crem, Praxitexte)
Cette présentation analyse la couverture médiatique du mouvement #MeToo à Taïwan à travers l’examen de trois journaux locaux. L'étude se concentre sur l'émergence tardive du mouvement à Taïwan par rapport à d'autres pays et explore les facteurs ayant contribué à son récent essor en 2023. En adoptant une combinaison de linguistique de corpus et d'analyse critique du discours, nous examinons les différences dans la manière dont les journaux dépeignent le mouvement, en mettant l'accent sur les termes clés et le langage métaphorique utilisés à propos de #MeToo. L'objectif de cette recherche est de comprendre comment les différents journaux cadrent le mouvement et quelles sont les implications pour la perception publique et le changement social à Taïwan.