Séminaire Passages : « L'affaire Moutier : 1000 bandes dessinée artisanales et 1 procès » (Xavier Girard)
équipe Passages
L'affaire Moutier : 1000 bandes dessinée artisanales et 1 procès
Intervenant : Xavier Girard Discutant : Jean-Matthieu Méon
En 2020, sur le marché aux puces d'Orléans, Xavier Girard fait l'acquisition d'une collection de 1000 fascicules de bande dessinée artisanaux fabriqués de 1950 à 1960 par un garçon nommé Norbert Moutier, avec l'aide de sa mère. Adulte, le garçon sera connu pour sa librairie parisienne, ses fanzines consacrés au cinéma populaire et ses 9 films de série z. Après avoir quitté son poste de coordinateur pédagogique à l'école d'art et grâce au Pôle emploi, Xavier Girard choisit de consacrer du temps à l'étude et à la mise en valeur de ce corpus inédit par son ampleur et la finesse de sa relation avec l'édition commerciale de magazines pour la jeunesse d'après-guerre. Complétée de nombreux documents permettant de la mettre en contexte, la collection raconte la relation passionnée d'une enfant à l'édition sérielle de bande dessinée mais elle matérialise aussi des enjeux de transmission filiale, entre une mère et son fils. Avec ses 14000 pages de dessins originaux et son absence totale de témoins, la collection intrigue à la fois les chercheurs, les amateurs de bande dessinée, de microédition et le grand public. Xavier Girard conduit son enquête en confrontant le corpus au regard des spécialistes et à celui des amateurs, en considérant qu'il ne faut pas réserver à quelques uns un témoignage aussi fort de l'énergie créative d'un enfant. Il s'appuie aussi sur les intuitions de ceux qui découvrent Collection Aventures au cours de nombreux "déballages commentés" pour en construire ou en remettre en cause l'analyse et pour fonder sa légitimité comme objet culturel. Dans un second temps, il projette aussi de présenter ces "éditions" dans le contexte muséal, dans des établissements qui s'intéressent à la relation entre art brut, bande dessinée et avant-garde, en Belgique en particulier. C'est à l'occasion de l'une des premières véritables expositions collectives accueillant une partie de la collection, à Bruxelles, que l'ayant droit de Norbert Moutier se manifeste, remettant en question la légalité et la légitimité du partage de ces documents d'archive. L'affaire sera portée devant le tribunal de Marseille d'ici quelques mois. Outre la mise en cause d'une recherche parfaitement désintéressée, la procédure en cours pose aussi de bonnes questions juridiques : celle de la propriété intellectuelle liée à une production "fan" particulièrement précoce et signifiante, celle de de la transmission filiale des droits moraux et de la légitimité d'un processus de patrimonialisation d'archives privées à l'abandon.