Déviance et risque en dispositifs. Expertise et médiatisation
La chronique du risque, du contrôle, de la prévention ou de la sanction tend à devenir notre actualité quotidienne. Des questions nouvelles, ou qui paraissent l'être, relevant de la santé, des mœurs, de la sécurité, de l'éducation ou de l’écologie font l’objet de dispositions législatives qui mettent en tension le rapport entre responsabilité collective et liberté individuelle. Un certain sens commun, dans nos sociétés démocratiques, y voit généralement une action unilatérale de l’État et des pouvoirs publics à l’endroit du citoyen. Or, au-delà d’une conception régalienne des fonctions de l’État, ces problématiques invitent à poser la question des processus de construction et de communication de l’action publique. Par quels mécanismes des pratiques, des représentations, des discours sont-ils plus ou moins tolérés, selon qu’ils correspondent à une norme acceptée ou qu’ils suscitent la réaction sociale ?
Les théories les plus récentes rendant compte des grands bouleversements sociétaux se rencontrent autour de plusieurs notions qui connaissent un succès incontestable dans les champs académique, politique et journalistique : la désinstitutionnalisation, l’individualisation, la société liquide, l’accélération du changement social ou encore la révolution managériale, la globalisation, l’incertitude, la société du risque.
Cet ouvrage permet de prolonger la réflexion engagée à Metz en décembre 2009 en pointant, par-delà la diversité des objets analysés (violence scolaire, violence urbaine, inceste, storytelling écologiste, crise sanitaire, tabagisme, rodéos automobiles, supportérisme, viol et immigration en Italie, crise des banlieues, délinquance, public actif), des invariants tant en termes de production de normes, de connaissances légitimes que de leur circulation dans nos sociétés. Deux notions transversales traduisent ici un certain continuum dans le traitement réservé aux facteurs de risques : l’expertise et la médiatisation. Dans un cas comme dans l’autre, les chercheurs rendent compte d’un glissement des frontières entre : le public et le privé ; le scientifique, le politique et le professionnel ; le professionnel et le profane. Qu’ils s’organisent en think tanks, qu’on les qualifie de « nouveaux experts », d’entrepreneurs de morale ou qu’il s’agisse de journalistes et de publics actifs, les prescripteurs de « bonnes conduites » empruntent, pour convaincre, aux ressorts du récit mythique, de la subjonctivité ou de la nosographie.
Ces résultats tendent à confirmer, d’une part, le bien-fondé d’une « sociologie générale » attentive aux transformations liées à la société post-industrielle et à leurs conséquences ; mais, d’autre part, ils réaffirment et prolongent quelque inquiétude formulée par la sociologie de la déviance quant au déficit de légitimité accordée aux sciences humaines et sociales par le politique dans le débat public et la nécessité d’une sociologie pragmatique. Ils sont enfin une invite au questionnement de l’outillage scientifique – théories, catégories, concepts, notions – sur lequel nous nous fondons pour produire nos analyses.