[Têtes chercheuses] Delphine Le Nozach : l’insertion créative des produits et des marques dans le cinéma

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Delphine Le Nozach est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’IUT Nancy-Charlemagne de l’Université de Lorraine et membre du Crem. En 2015, elle initie le projet Les Bobines de l’Est qui porte sur la présence de la région Grand Est dans le cinéma depuis 1899. Ce catalogage permet l’élaboration de parcours-découverte interactifs et leur insertion dans l’application mobile du même nom (disponible gratuitement sur l’App Store et Google Play). Actuellement, Delphine Le Nozach poursuit cette recherche avec le projet Materciné qui investit le champ du placement des marques territoriales du Grand Est.

Quel est votre parcours ?

Après l’obtention d’un baccalauréat série Économique et Sociale (ES) à Bar-le-Duc en 2001, j’ai commencé ma formation supérieure par un diplôme d’études universitaires générales (Deug) Médiations culturelles et communication à Nancy. Intéressée par l’art et la publicité, je me passionne particulièrement pour le cinéma et les arts visuels en général. Je poursuis en licence, puis en maîtrise Arts du spectacle à l’Institut européen de cinéma et d’audiovisuel (IECA) et rédige un mémoire sur La croyance en la création chez le réalisateur. Dans le même temps, je réalise mes premiers films : des documentaires liés à l’histoire de la Lorraine, des courts-métrages sur les thèmes du rêve, de la création ou encore de la frontière entre la réalité et la fiction. Cette pratique me plaît et je décide de l’approfondir pendant mon master professionnel Filmer le réel, toujours à l’IECA. Mais les livres me manquent et, frustrée d’avoir laissé de côté la recherche, je m’oriente vers un master recherche en sciences de l’information et de la communication.

Le choix du mon sujet d’étude est alors essentiel pour la suite de mon parcours : j’allie mon amour du 7e art à la publicité qui m’a toujours fascinée et me consacre à la thématique du placement de produits au cinéma, thématique que je n’ai jamais quittée depuis.

En 2007, après avoir obtenu une allocation de recherche, je m’engage en doctorat sous la codirection de Béatrice Fleury et Jean-Marc Lehu (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et intègre l’équipe Praxis du Crem. Ma recherche porte sur les insertions publicitaires filmiques. Au-delà des aspects marketing, commerciaux et économiques de cette technique, ma thèse examine la place accordée aux produits et aux marques dans la création cinématographique française. Je soutiens en octobre 2010 et suis recrutée en tant que maîtresse de conférences un an plus tard, après avoir été attachée d’enseignement et de recherche (ATER) à l’IUT Nancy-Charlemagne.

Depuis, mes travaux portent sur le placement de produits, le contenu de marque et les insertions publicitaires dans les médias. J’ai publié l’ouvrage Les Produits et les marques au cinéma (Éd. L’Harmattan, 2013), coordonné un colloque (Nancy, 2013) puis codirigé avec Violaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak l’ouvrage qui en a résulté, La Mise en scène des produits et des marques. Représentations, significations, publics (Éd. L’Harmattan, 2015). Depuis lors, je concentre mes recherches sur la question du placement territorial filmique. L’inscription d’un territoire dans un film est la résultante d’un partenariat notifié qui réunit la région et la production du film. Les régions voient dans ce partenariat une occasion de développer une stratégie communicationnelle et commerciale. Outre une enveloppe budgétaire, les réalisateurs trouvent ainsi un décor, une esthétique, une ambiance. Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est le fait que la monstration du territoire filmique apparaît naturelle et légitime pour les acteurs territoriaux, les réalisateurs et même les spectateurs. Si le placement de produits est, à l’heure actuelle, encore critiqué voire rejeté, le placement territorial filmique est quant à lui accepté, valorisé voire revendiqué.

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Je m’investis avec Violaine Appel et Lylette Lacôte-Gabrysiak dans un nouveau projet de recherche : « Marque, territoire et cinéma en Grand Est » (Materciné), financé par le contrat de plan État-région Ariane (2020-2022). Étant données les profondes mutations des territoires (constitution de la région Grand Est, affirmation ou création des marques régionales), il est intéressant d’investir le champ des marques territoriales du Grand Est et d’interroger les dispositifs appartenant aux différents pôles d’attractivités de la région (productions artistiques, territoire, patrimoine, tourisme). Le projet étudie la coexistence et la juxtaposition au sein de la région Grand Est de nombreuses marques territoriales de niveaux différents telles les métropoles, les départements, les territoires géographiques sans représentation administrative, les anciennes régions correspondant à des réalités culturelles et historiques et, enfin, la marque de la région Grand Est. La marque Lorraine (créée et déposée à l’Institut national de la propriété industrielle en 2018) fait l’objet d’une étude approfondie visant à comprendre les logiques mises en œuvre et ses objectifs communicationnels et stratégiques tandis qu’une autre étude prend en compte l’ensemble des marques territoriales du Grand Est au niveau du placement de celles-ci dans les films de cinéma. Ce dernier travail s’intéresse notamment à la participation effective et potentielle des marques territoriales au dispositif du placement de produits et aux médiations possibles entre territoires, marques territoriales et équipes de films.

En plus des productions purement scientifiques (colloques, journées d’étude, articles), Materciné vise à enrichir l’application mobile et le site web issus du projet Les Bobines de l'Est avec des contenus transmédiatiques, ainsi qu’à éditer un ouvrage à destination du grand public.

Les résultats obtenus permettront aussi de renforcer et développer le placement de la région Grand Est par l’instigation d’une réflexion stratégique et d’augmenter sa visibilité et son attractivité par la création de dispositifs culturels et touristiques novateurs : parcours et guides pour une découverte ludique de la région ou encore une exposition de la région filmique dans une expérience immersive inédite.

Quels sont vos projets ?

Le projet Materciné débute en cette année 2020 et sera ma principale activité de recherche pour les deux ans à venir. Néanmoins, j’ai aussi pour projet de mon consacrer à la saga cinématographique James Bond. D’une part, il s’agit d’analyser les partis pris visuels et la place des marques sur les affiches des cinq derniers films, soit ceux dans lesquels le célèbre espion est joué par Daniel Craig (2006 à 2020). Formes de présence, degré de monstration, fonctions endossées, l’enjeu est de décrypter le rôle du placement de produits dans la promotion des films et de démontrer qu’il devient un identifiant intrinsèque à l’édification du mythe 007 dans la mémoire collective. D’autre part, j’ambitionne d’étendre l’étude des films James Bond en m’intéressant à la présence filmique du champagne Bollinger, champagne produit dans le Grand Est et placé dans ces films depuis 40 ans.

Parallèlement, je souhaite poursuivre ma réflexion sur les liens qui unissent insertions publicitaires et création cinématographique. 10 ans après ma première enquête auprès des réalisateurs, je conduis une nouvelle série d’entretiens auprès de réalisateurs français à la sortie de leurs longs-métrages en salle (avec le soutien des salles UGC Ludres et Nancy). Si les échanges portent toujours sur leurs perceptions du 7e art et leurs conceptions du métier, ils se concentrent surtout sur le rôle des produits et des marques dans les films et le cinéma. Il s’agit d’affiner les résultats déjà obtenus sous le prisme inédit de l’instrumentalisation créative des produits et des marques dans la réalisation cinématographique. Ce nouveau terrain envisage une réflexion sur les évolutions du dispositif du placement de produits filmique au regard des récentes mutations du branding, c’est-à-dire de la gestion de l’image de marque.

Enfin, outre mes publications scientifiques, je publie régulièrement des billets sur le média en ligne The Conversation France et souhaite poursuivre cette enrichissante collaboration.

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