Séminaire Praximédia

Renouveau des pratiques médiatiques

Avec les interventions d'Allan Deneuville et Ide Hamani

Sur quelques enjeux des enquêtes en sources ouvertes (Alain Deneuville)

L’hyperproduction d’images et de données sur Internet a permis la mise en place de nouvelles pratiques de contre-surveillance et d’investigation civile s’appropriant des stratégies des services de renseignements militaires. Les investigateurs, d’abord amateurs puis professionnels, ont développé des méthodes dites Osint (Open Source Intelligence) dont les modèles du genre sont le média Bellingcat et le groupe Forensic Architecture. Retrouver les protagonistes de l’assaut du Capitole étatsunien, documenter l’avancée des chars russes avant l’invasion de l’Ukraine, déterminer la responsabilité du gouvernement du Cameroun dans l’exécution de civils, démontrer l’existence de violences policières lors des manifestations des Gilets jaunes : autant d’enquêtes qui ont pu être menées sans avoir à quitter la chaise d’un bureau. Recoupant et mettant en relation des informations hétérogènes accessibles en ligne, les enquêtes Osint permettent d’élucider des affaires géopolitiques et criminelles au-delà des récits officiellement assenés. La démocratisation de ces modes d’enquêtes ne peut cependant pas se faire sans poser un ensemble de questions qui rejouent de façon inédite des débats ayant jalonné l’histoire du journalisme (rapport à la vérité et à l’objectivité, rôle de contre-pouvoir face à l’État, détermination d’un faire-preuve), de l’art et du cinéma (agentivité des images, techniques de montage, esthétique de l’enquête, lien avec les institutions culturelles). L’utilisation des médias sociaux invite par ailleurs à poser de nouvelles questions en rapport avec la surveillance étatique et commerciale, la constitution de communautés en ligne et le rôle des internautes dans la réalisation de ces enquêtes.

Les clubs d'écoute radiophonique. L'interactivité par conférence téléphonique dans les radios communautaires rurales au Niger (Idé Hamani)

En Afrique subsaharienne, le Niger est particulièrement connu pour avoir servi de terrain à de nombreuses expériences radiophoniques à succès notamment en zone rurale (Tudesq, 2002 ; Damome, 2015). Aujourd’hui, alors que dans les grands centres urbains les pratiques d’écoute se tournent de plus en plus vers de nouvelles possibilités ouvertes par Internet (Poulain, 2017 ; Equoy Hutin et Deleu, 2019), les publics ruraux, avec le concours des radios communautaires, développent des clubs d’écoute grâce à des dispositifs d’accompagnement proposés par des partenaires associatifs. Cette adaptation technosociale (Flichy, 2008) au contexte nigérien permet de pallier l’absence de scolarisation dans les territoires et faciliter les usages du téléphone mobile et du numérique (Flichy, 1998 ; Jouët, 2000 ; Kiyindou et al., 2015). En partant du constat que les formes de lien social que créent les clubs d’écoute, l’évolution des mentalités et la représentation de soi peuvent contribuer à l’éveil de la conscience citoyenne des ruraux, nous nous demandons comment et dans quelle mesure les populations participent au fonctionnement du dispositif des clubs d’écoute. Quels sont les pratiques et les usages qu’il suscite dans les territoires ? Quelles sont enfin les retombées socio-économiques et politiques sur le terrain ?  Nous formulons l’hypothèse que la participation des ruraux aux conférences radiophoniques téléphoniques permet de découvrir et de (re)connaître leurs compétences argumentatives sur des sujets de développement proposés par les stations communautaires et les actions qu’ils entreprennent afin d’améliorer leur condition de vie. Notre communication se fonde sur une émission interactive consacrée aux activités des clubs d’écoute Dimitra. L’émission comporte un enregistrement de témoignages recueillis dans un club d’écoute de la région de Tillabéri au terme duquel l’animateur donne la parole en direct aux auditeurs. Elle s’appuie également sur des données d’enquête d’observation (en cours) dans le groupe WhatsApp dudit club d’écoute et sur un entretien inédit avec Ali Abdoulaye (2022), expert des clubs d’écoute Dimitra et consultant international à la FAO pour l’Afrique de l’Ouest. L’analyse de l’émission nous conduira à interroger les interventions et leur mise en scène dans les interactions et comprendre leur contribution à la résolution des problèmes socio-économiques et au bien-être des populations. Les informations recueillies dans le groupe WhatsApp et avec A. Abdoulaye viendront compléter l’analyse et la contextualisation du dispositif. L’étude s’inscrit prioritairement en analyse du discours et plus particulièrement en analyse de l’argumentation dans le discours (Amossy, 2000, 2010 ; Doury, 2016) notamment radiophonique (Charaudeau, 1984). Elle inclut aussi une approche empirique par observation (Olivesi, 2007 ; Copans, 2011) des échanges en langue zarma dans le groupe WhatsApp du club d’écoute qui ont lieu en amont et en aval de l’émission. L’approche centrée sur l’observation des échanges WhatsApp couplée à l’analyse du corpus d’émission et à l’entretien avec A. Abdoulaye nous conduira à interroger plus largement les pratiques communicationnelles des publics et le renouvellement du média radio en zone rurale dans le contexte actuel de démocratisation des réseaux sociaux numériques (Castells, 1998 ; Burger et al., 2017).