Mise au Point, 19 : « Langues minoritaires, production et circulation des films et séries : enjeux, publics, contestation des hégémonies et revendications émancipatrices »

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Mise au Point, 19

Langues minoritaires, production et circulation des films et séries : enjeux, publics, contestation des hégémonies et revendications émancipatrices


Numéro de revue dirigé par Patricia Caillé (Université de Strasbourg, Centre de recherche sur les médiations) et Florence Martin (Goucher College, Baltimore) 

(ENGLISH BELOW IN PDF FORMAT WITH REFERENCES)

Depuis les débuts du cinématographe développé par les frères Lumière, un appareil qui servait à la fois à filmer et à projeter des films, les films ont circulé au-delà des frontières en deçà desquelles ils avaient été réalisés par des opérateurs venus d’ailleurs. Ainsi, tandis que la production des savoirs a érigé le cinéma comme lieu de construction des identités nationales, le cinéma a toujours été fondamentalement transnational, et la circulation des films soumise à des rapports de force engendrant de grandes inégalités d’accès à la production comme à la consommation d’images. Le parlant, qui augmenta considérablement les coûts de production, a bien évidemment reconfiguré cette circulation, puisque les langues utilisées et la géopolitique redessinaient les routes empruntées pour parvenir à ces publics et les frontières de leur réception potentielle. Mise au Point a d’ailleurs consacré un numéro à la question des langues dans la construction d’un cinéma européen, notant que cette dernière « implique des choix linguistiques à tous niveaux (production, tournage, distribution, réception) » et dans lequel Martin Barnier examine la façon dont les films tournés en versions multilingues ont constitué un moyen de lutter contre l’hégémonie des films hollywoodiens. Si les empires coloniaux ont eu un impact considérable sur les langues dans lesquelles les films circulaient dans les pays colonisés – des films hollywoodiens projetés dans quelques salles tunisiennes sont encore aujourd’hui doublés en français – le cinéma égyptien a contribué à desserrer l’étau des peuples colonisés pour mieux recentrer les attentions autour de récits dans une langue devenue le vecteur d’une identité et de valeurs communes. Mais les publics du cinéma égyptien s’étendent au-delà de l’aire linguistique jusqu’à l’Afrique de l’Ouest, ceux-ci y puisant des références culturelles, religieuses et musicales (Goerg, 2015). Il en va de même pour le cinéma hindi acheté à moindre coût par les exploitants des cinémas du Maroc dans les années 1950-1970 (Higbee et al.). La question des langues dans lesquelles les films sont produits et circulent ne peut être séparée d’autres considérations économiques, culturelles, religieuses, politiques, etc. 

 

Ce nouveau numéro de Mise au Point entend soulever la question des langues minoritaires et la façon dont celles-ci s’immiscent dans la production et la circulation des films et séries à des fins identitaires, et pour interroger les rapports de pouvoir et de domination qu’elles pourraient subvertir et/ou contester, ou au contraire reproduire et/ou renforcer. Le numérique a rendu la production et la réalisation de films accessibles à un plus grand nombre, elle a aussi permis l’entrée de nouveaux acteurs et l’émergence de nouveaux modes de production comme de nouveaux usages. Cet accès élargi implique des ambitions très différentes et des choix de langues qui peuvent être construits comme le reflet d’une réalité, tout comme le refus ou la contestation d’une autorité, de communautés nationales et/ou de leurs périmètres. Le nombre des séries et films produits dans le monde a donc considérablement augmenté, comme en témoignent les inventaires, même si parfois, certaines institutions comme l’Unesco, ont longtemps omis les industries ghanéennes et nigérianes au prétexte qu’elles produisaient sur des supports vidéo.  

 

Comment pouvons-nous aujourd’hui comprendre les rapports entre production, circulation et langues utilisées dans les films et séries ? Nous aimerions ici réfléchir 

  1. aux langues minoritaires comme lieu de revendications identitaires et de contestation des hégémonies ; 

  1. à la façon dont les producteurs, les cinéastes ont pu s’approprier, promouvoir et mettre à profit ces langues minoritaires ; 

  1. à la façon dont les publics se sont à leur tour réapproprié ces films et séries, qu’ils maîtrisent ces langues ou non ; 

  1. aux enjeux historiques, politiques, économiques et culturels de ralliements ou de décentrement facilités par des films et séries en langues minoritaires. 

 

Quelques axes de réflexion possibles qui ne sont pas exclusifs : 

 

I – Les langues minoritaires dans les scénarios et sur les tournages : dans quelles langues les scénarios sont-ils écrits, dans quelles langues les séries et les films sont-ils tournés ? Qu’en est-il des langues orales et sans écriture ? Au Maroc, le Tamazight bénéficie d’un alphabet nouvellement inventé, le Tifinagh, mais le scénario continue à s’écrire en français. En Tunisie, par exemple, le tunisien n’est souvent pas la langue dans laquelle le scénario est écrit, comment le recours au français dans le scénario affecte-t-il la conception du film, sa préparation et son tournage ? Les coproductions internationales pensent-elles les questions liées à l’usage des langues, et si oui comment les gèrent-elles ? Dans une équipe transnationale de talents et de techniciens, que devient la langue minoritaire du film ou de la série ? Dans quelles langues les équipes techniques interagissent-elles ? En quoi le recours aux langues minoritaires parlées ou écrites transforme-t-il les pratiques et les rapports entre la production, les équipes et les acteurs et actrices ? Quand, par qui et comment est-elle pratiquée ? En quoi la maîtrise ou non maîtrise de la langue affecte-t-elle des rapports de pouvoir et de domination ? 

 

II – Langues minoritaires et pays multilingues : l’Union européenne à travers sa Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, par exemple, laisse à chaque pays le soin de désigner ses langues minoritaires et/ou régionales. Les langues minoritaires au cinéma dans certains espaces font-elles l’objet d’une législation ou d’une réglementation spécifique ? Comment la question des langues s’immiscent-elles dans les pratiques de filières cinématographiques et télévisuelles ? Quels films sont tournés dans quelles langues et vers quels publics ? Que nous invite à penser l’usage tour à tour de l’anglais, du hausa, du yoruba, de l’igbo, etc., dans la production audiovisuelle nigériane ? Au Maroc, le tamazight est une langue officielle et des films sont tournés dans différents dialectes issus des langues berbères (le tarifit, le chleuh, etc.). Qu’en est-il des onze langues officielles en Afrique du Sud ? Du yiddish dans des films polonais des années 1930 ? Des films tournés en inuktitut au Canada ? Ou encore des rares films tournés en espéranto, etc. ? Comment de tels rapports s’inscrivent-ils dans des revendications identitaires ?  

 

III – Comment des films ayant recours à des langues minoritaires accèdent-ils à des publics ? Quels publics, par exemple, un film tourné en mapuche trouve-t-il au Chili ? Comment les publics s’approprient-ils ou se réapproprient-ils ces films ou séries en repérant ou non, comprenant ou non langues minoritaires ? Dans quelle mesure la réception de ces films rassemble-t-elle ou divise-t-elle des publics autour d’enjeux identitaires, de rapports de pouvoir ou de domination ? Lesquels ? Quelles pratiques collaboratives les publics déploient-ils pour faciliter l’expression de revendications identitaires à travers la circulation de films ou de séries en langues minoritaires ? 

 

IV – Quelle circulation des productions en langues minoritaires s’effectue par les circuits commerciaux ou autres, les canaux de diffusion télévisuelle, les plateformes de streaming ? Quelles techniques d’accessibilité accompagnent la circulation des séries ou films réalisés en langues minoritaires ? Quelles techniques d’accessibilité, dans l’appareillage linguistique qui accompagne les films, peuvent lisser, voire même invisibiliser, les enjeux des langues minoritaires ? Comment le cantonais ou le taiwanais sont-ils signalés et repérables pour des publics transnationaux dans le cinéma sinophone qui circule en Europe ? Quelles réceptions s’en trouvent tronquées ? Les films ou séries en langue minoritaire (au Nigéria ou dans le Rif marocain, par exemple) avaient créé leurs propres circuits de production et de circulation plus ou moins officiels sur des supports vidéo avant la révolution numérique. Dans quelle mesure et de quelle manière les services de streaming sur abonnement ont-ils reconfiguré les espaces de circulation, les publics ciblés et les réceptions ? Comment Netflix ou Canal+ Afrique intègrent-ils ou non des langues minoritaires dans leur sélection de séries ou films nigérians ? Quels critères président à leur choix ? Les pratiques industrielles anticipent-elles et tentent-elles de contenir les effets potentiels d’exclusion engendrés par des langues minoritaires parlées – ceci afin de ne pas compromettre la circulation d’un film auprès des publics qu’il peut ainsi toucher ? À l’inverse, dans quelle mesure les langues minoritaires peuvent-elles devenir un argument de promotion d’un film ? 

 

V – Réseau « francophone » et cinéma-monde. Comment le label francophone devient-il de plus en plus problématique dans cette nouvelle écologie linguistique des productions cinématographiques des Suds ? Quels sont les enjeux politiques et mondiaux de l’usage des langues minoritaires au sein du cinéma transnational et plus largement de la production audiovisuelle d’aujourd’hui ? 

Calendrier de la réalisation du numéro :

  • remise des propositions : le 15 mars 2023 ;
  • réponse aux auteur·ices : début avril 2023 ;
  • remise des articles : le 30 juin 2023 ;
  • évaluation en double aveugle et révisions
  • Publication du numéro prévue en 2024 

Consignes aux auteur·rices :

  • Envoyez votre proposition en français ou en anglais (400 mots), une courte bibliographie, ainsi qu’une notice biographique, en précisant l’axe de recherche retenu. Les fichiers sont à envoyer par courriel à l’adresse mail : langues.minoritaires.map2024[at]gmail.com  ;

Numéro dirigé par : 

Patricia Caillé (Université de Strasbourg, Centre de recherche sur les médiations) 

Florence Martin (Goucher College, Baltimore) 

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