Revoir Osnabrück
À sa modeste échelle, ce livre voudrait contribuer à préciser les enjeux et les effets de l'écriture, et d’abord de l’écriture littéraire; enjeux culturels mais aussi existentiels tant l’art des mots nous touche au cœur de ce qui nous constitue – je veux dire la langue maternelle. Comment dire ce qui ne peut pas se dire? Comment tisser liens malgré la séparation? Comment faire de l’ordre à partir du chaos? Voilà ce que nous invite à penser le livre auquel ici nous abordons.
Tenter une ethnocritique d’Osnabrück a d’abord pour objectif de proposer des pistes de réponses à ces questions en réinscrivant le récit dans le réel, tant sur le plan des pratiques représentées, de l’imaginaire filé, que des savoir-faire propres aux personnage comme à l’écrivaine. L’approche du texte se fera par le prisme de la cuisine dans tout ce que la polysémie du terme implique – lieu, technique, économie, esthétique. En effet, la nourriture est ce qui rassemble les deux femmes dans le récit, ce qui les rassemble mais ce qui les sépare aussi – nous verrons comment. Après une mise au point méthodologique, l’analyse se déploie sur plusieurs niveaux à la fois: celui du monde concret, celui du monde inventé, celui de l’élaboration de la diégèse, celui du livre comme objet matériel. Elle s’appuie également sur le terrain concret, expérientiel, de la rencontre de la chercheuse avec l’écrivaine. Des excursions sont opérées dans d’autres récits écrits en continuité directe ou liés thématiquement à l’univers mis en place précédemment, essais comme fictions. À partir du foyer, du feu sous la marmite, nous explorons finalement les modalités de la transmission entre les générations, entre une mère et sa fille ainsi que leur différenciation irrémédiable; scission condensée, pour la narratrice, dans le passage précoce à la littératie et dans le projet plus récent de mettre Ève, sa mère, en livre, deux événements présentés comme une trahison de l’origine.
Penser la cuisine ici c’est penser la femme, la construction de soi, les liens d’une parenté réinventée, mais aussi dresser la table d’écriture et mesurer les enjeux de la vie revécue littérairement. C’est aussi réfléchir à cette forme particulière de littératie seconde, quand l’écrivain est tellement envahi par les lettres qu’elles deviennent vie, fluide, sang: chair.