[Têtes chercheuses] Ophélie Naessens, chercheuse et artiste : arts, rituels et activismes
Maîtresse de conférences en sciences de l’art et co-responsable de l’équipe Praxitèle du Crem, à partir de septembre 2020, Ophélie Naessens codirige avec Anne-Laure Vernet le projet de « Rituels, arts et résistances. Rituels et résistances dans les pratiques artistiques contemporaines : des récits potentiels comme outils d’émancipation » (RAR) soutenu par le contrat de plan État-région (CPER) Ariane.
Quel est votre parcours ?
Après un baccalauréat série littéraire spécialité arts plastiques, j’ai hésité entre deux voies : la psychologie et les arts plastiques. Je me suis donc lancée dans des études supérieures dans ces deux champs. Pour la psychologie, j’ai obtenu une licence à l’Université Rennes 2, puis une certification d’intervenante en art-thérapie et un diplôme universitaire d’art-thérapie à la faculté de médecine de l’Université François-Rabelais de Tours. Parallèlement à mon activité professionnelle libérale dans le champ du handicap psychique et mental, j’ai poursuivi mes études en arts plastiques jusqu’au doctorat. En 2013, j’ai soutenu une thèse intitulée Les Portraits des histoires. La parole vivante dans les pratiques artistiques des années 1970 à nos jours au sein du laboratoire Arts : pratiques et poétiques de l’Université Rennes 2. Celle-ci combinait une partie théorique et une partie pratique présentant mes recherches artistiques personnelles constituées d’enquêtes, d’entretiens vidéo et de portraits filmés.
Après avoir occupé un poste d’attachée d’enseignement et de recherche (ATER) en arts plastiques à l’Université Rennes 2 de 2013 à 2015, j’ai été recrutée en tant que maîtresse de conférences en arts plastiques à l’Université de Lorraine. Depuis, mes recherches théoriques et artistiques ont porté sur les modalités de représentation d’une parole donnée principalement à travers des processus d’enquête et la création d’espaces de parole et d’écoute dans le champ de l’art contemporain, les portraits filmés d’artistes, les pratiques artistiques participatives.
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
Mes recherches actuelles se sont resserrées sur la question de l’échange discursif pensé comme forme artistique (dialogical art, conversation pieces), les formes artistiques collaboratives, ainsi que les relations entre arts, rituels et activismes.
Dans le cadre du contrat de plan État-région (CPER) Ariane (« Attractivité de la région : innovations, aménagement du territoire, nouveaux effets économiques et sociaux »), Anne-Laure Vernet (Crem) et moi venons d’apprendre que le projet de recherche « Rituels, arts et résistances. Rituels et résistances dans les pratiques artistiques contemporaines : des récits potentiels comme outils d’émancipation » (RAR) sera subventionné. Ce programme, dont je suis co-responsable, vise à questionner la manière dont les artistes réinvestissent des pratiques rituelles existantes et proposent de nouvelles formes de résistance créative, ainsi que des récits potentiels – c’est-à-dire des récits possibles engendrés par les créations artistiques – pensés comme outils d’émancipation. Il a deux objectifs principaux : le renouvellement des approches critiques de la notion de rituel au prisme de ses approches artistiques, ainsi que celui des approches pédagogiques en art mêlant création et recherche. Sa particularité réside dans la constante attention aux va-et-vient entre pratiques artistiques et apports théoriques qui sera assurée de plusieurs façons. Parmi elles, il faut mentionner la présentation d’une programmation artistique (diffusion de films, performances, expositions) qui bénéficiera de l’adossement du projet à des lieux de création et de diffusion tels la Galerie 0.15//Essais dynamiques à Metz – un espace de l’Université de Lorraine dont Anne-Laure Vernet et moi assurons la responsabilité – et la proposition de dispositifs d’enseignement mixtes (recherche-création-rituel). Par exemple, en novembre prochain, nous accueillerons à la Galerie l’artiste Céline Drouin-Laroche pour une exposition monographique. Un workshop avec l’artiste Cynthia Montier consacré aux relations entre activismes et ésotérisme dans l’art sera également proposé à des étudiant·es de licence en arts plastiques, ainsi qu’à des étudiant·es des écoles d’art de la région en octobre 2020.
Sur le plan artistique, le duo d’artistes-chercheuses que nous formons avec Cynthia Montier depuis 2019 explore la notion d’ « ésotérico-géographie », soit l’appréhension de la géographie et de la géologie urbaine ou rurale comme des espaces à double dimension : à la fois physique et ésotérique, révélant la représentation symbolique d’une expérience spirituelle, mystique ou émotionnelle. Dans cette perspective, nous imaginons et expérimentons des formes participatives naviguant entre art, activisme et magie. Ensemble, nous nous intéressons aux dispositifs de médiation et de transmission de savoirs et pratiques – pédagogies rituelles –, ainsi qu’à la place de la spiritualité dans les pratiques artistiques, vernaculaires et militantes. Notre méthodologie de travail se déploie à partir de protocoles d’enquêtes avec des dimensions narratives, géologiques et ésotériques autour d’un territoire donné, de ses habitant·es et de ses objets. Par exemple, nous avons été invitées en 2019 par le centre d’art le Magasin des horizons à Grenoble pour une résidence de création sous forme d’une enquête de terrain sous l’angle d’un questionnement sur les traditions et rituels locaux utilisant des pierres. Dans le contexte de l’exposition I Remember Earth, nous avons également proposé un workshop public : « Rituel de marelle. Tentative ésotérico-géographique », soit un rituel de fortune mobilisant des éléments (objet, signe, système – palet, sigil, marelle) pour que le jeu devienne le plateau d’un rituel collectif de résistance dans lequel chacun·e chemine vers de nouveaux possibles pour la Terre.
Quels sont vos projets ?
Le programme de recherche RAR démarrera en septembre 2020 et nous nous attelons dès à présent à sa mise en place effective, notamment avec l’organisation d’un colloque en 2021 dont la perspective scientifique sera abordée à partir de quatre axes : approche théorique et historique des rites, rituels et combats militants, documentation et représentation de rituels, formes et gestes du rituel dans l’art contemporain. Nous travaillons aussi d’ores et déjà à la programmation artistique afférente qui sera mise en œuvre à la Galerie 0.15//Essais dynamiques, à l’établissement des partenariats avec les écoles d’art et les lieux d’exposition de la région Grand Est, ainsi qu’à la mise en place des missions de recherche-création liées au programme.
Sur le plan artistique, la situation sanitaire actuelle nous a conduites, Cynthia Montier et moi-même, à travailler sur une série de performances digitales telles Private is Political, avec Lise Lerichomme, à l’initiative du commissaire d’exposition allemand Alain Bieber dans le cadre du programme Art will save Us et Ritual of Hopscotch – A Esoterico-geographical Attempt, laquelle sera présentée lors du symposium Love Spells & Rituals for Another Worls à Londres en 2020.