[Têtes chercheuses] Miao Chi : Explorer la médiatisation des événements historiques et la médiation mémorielle pendant l’ère maoïste et l’ère post-maoïste
Miao Chi, docteure en sciences de l’information et de la communication, a reçu le prix de thèse de l’École doctorale Humanités Nouvelles-Fernand Braudel en novembre 2021, ainsi qu’une aide à la publication pour sa recherche intitulée La Fabrication de l'Histoire. La Seconde Guerre sino-japonaise au cinéma sous Mao Zedong 1949-1966. Actuellement, elle est membre associée au Centre de recherche sur les médiations (Crem) de l’Université de Lorraine, rédactrice en chef adjointe de la revue Remembrance Quarterly (Austin, États-Unis) et assistante de recherche à l’Unité de recherche en études est-asiatiques de la KU Leuven en Belgique.
Quel est votre parcours ?
Je suis originaire de la province du Heilongjiang, située dans le nord-est de la Chine. En 2006, après avoir obtenu une maîtrise en médias et communication à l’Université de Westminster au Royaume-Uni, je suis retournée à Běijīng pour travailler en tant que rédactrice pour la presse écrite, où j’ai collaboré avec de nombreux journalistes. Durant cette période, avec mes collègues, nous avons rédigé un grand nombre d’articles traitant des sujets d’actualité en Chine, mais ces écrits étaient souvent soumis à une censure rigoureuse. Ne souhaitant pas participer à la propagande de l’État, j’ai démissionné de mes fonctions. C’est alors que j’ai décidé de venir en France, pays qui respecte et défend la liberté d’expression, afin de poursuivre mes études. Après avoir appris le français pendant deux ans, j’ai suivi des cours au département Information-communication de l’UFR SHS-Metz et j’ai obtenu en 2013 un master en Information et communication, spécialité Médias, médiations et métiers de la recherche. Cette même année, suite à l’obtention d’un contrat doctoral, je me suis inscrite en thèse, sous la codirection de la professeure Béatrice Fleury et du professeur Weixing Chen (Université de communication de Chine). Portant toujours le même intérêt aux thèmes touchant à la propagande et plus particulièrement à l’influence de l’idéologie communiste sur le récit historique, j’ai choisi d’étudier la question de l’usage de l’histoire de la Seconde Guerre sino-japonaise dans le cinéma sous l’ère maoïste.
Durant la préparation de mon doctorat, je suis retournée en Chine afin d’effectuer quelques entretiens, ce qui m’a permis de rencontrer des chercheurs dans le domaine du cinéma et des historiens qui travaillent sur la période de la République populaire de Chine. Grâce à leurs recommandations et à leur soutien, j’ai réalisé mon premier documentaire intitulé Histoire de Zheng Zhisheng, un témoin de la Révolution culturelle en 2015, pour lequel j’ai organisé des projections dans des établissements de recherche en 2016. Par ailleurs, j’ai présenté ces chercheurs et historiens chinois au Crem et organisé deux journées d’étude en 2015 et 2016, intitulées « Mémoires en devenir. La Révolution culturelle et ses publics (France/Chine) » (Metz, 8-9 décembre 2015) et « La Révolution culturelle et ses suites. Regards croisés » (Nancy, 7-9 décembre 2016). Ensuite, j’ai codirigé avec Olivier Dard, Béatrice Fleury et Jacques Walter l’ouvrage qui a résulté de ces journées, La Révolution culturelle en Chine et en France, expériences, savoirs, mémoires (Éd. Riveneuve, 2017).
En décembre 2020, j’ai soutenu ma thèse La Fabrication de l’histoire : la Seconde Guerre sino-japonaise au cinéma sous Mao Zedong (1949-1966), et je suis devenue membre associée du Crem (équipe Passages).
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
Ma principale tâche durant l’année 2022 consistera à rédiger des articles sur les recherches que j’ai conduites, afin de les faire paraître dans certaines revues scientifiques françaises et chinoises. Par ailleurs, j’élargis le champ de mes recherches à l’étude de la propagande et de l’anti-propagande ainsi qu’à l’étude du sujet portant sur l’histoire, la mémoire et la médiatisation en Chine depuis 1949. Pour ce travail, je collecte des matériaux de recherche, je rédige des analyses de travaux antérieurs et mène des entretiens avec un certain nombre d’intellectuels, d’historiens et de témoins.
En outre, depuis décembre 2020, je suis rédactrice en chef adjointe de la revue Remembrance Quarterly. Il s’agit d’une revue scientifique trimestrielle qui est une nouvelle formule de la revue portant le même nom, fondée en Chine en 2008, sous format électronique. Depuis 2019, elle est officiellement publiée en version papier, en complément de la version électronique, à Austin aux États-Unis. Cette revue est principalement centrée sur l’étude de la pensée, de la culture et de l’histoire chinoises au xxe siècle, en mettant l’accent sur l’époque de Mao et plus particulièrement sur les recherches sur la Révolution culturelle (1966-1976). Ma mission principale consiste à solliciter les contributions de chercheurs travaillant dans ces domaines, à collaborer avec les membres du comité éditorial, à réviser et parfaire les articles après sélection. Cette fonction m’a permis d’entrer en contact avec de nombreux chercheurs indépendants qui ne font pas partie du courant de pensée dominant en Chine continentale, dont des professeurs d’université à qui il est interdit de s’exprimer et qui sont dans l’impossibilité de publier leurs propres travaux. D’autres sont des chercheurs indépendants reconnus, non inféodés au pouvoir, qui se consacrent aux sciences humaines et à l’histoire ; d’autres encore sont des sinologues européens et américains. Ce poste de rédactrice me permet ainsi de créer un réseau de recherche sur les études chinoises contemporaines. Il m’est en même temps extrêmement utile pour mes recherches personnelles.
Quels sont vos projets ?
De nombreux projets sont notés dans mon carnet de recherche, mais les deux plus importants ont déjà pris forme. Ce sont des projets sur lesquels je travaille depuis 2022.
Le premier projet donnera lieu à la réalisation de mon second documentaire sur la Révolution culturelle, toujours sur le même thème : une série d’événements violents connus comme « les affrontements » qui se sont déroulés dans la ville de Chóngqìng (sud-ouest de la Chine) pendant la Révolution culturelle. Toutefois, je prévois de le présenter cette fois-ci en format web-documentaire en adoptant un contenu multimédia associant textes, images et vidéos. À partir des entretiens de plusieurs témoins, j'essaierai de présenter, de la manière la plus objective et la plus complète possible, cet événement historique, rarement mentionné dans l’histoire officielle de la Chine contemporaine, mais qui impacte considérablement la société chinoise de l’époque. En outre, à travers des entretiens avec des chercheurs et d’historiens, je rendrai compte de leurs efforts et de leurs luttes, afin de mener des recherches sur l’événement qui s’est déroulé il y a plus de cinquante ans et préserver cette mémoire collective que les autorités officielles sont déterminées à effacer.
Par ailleurs, j’ai également pour projet de me consacrer à la commémoration du 60e anniversaire de la Révolution culturelle qui se déroulera en 2026 en mettant en place plusieurs actions. D’une part, en tant que rédactrice en chef adjointe de la revue Remembrance Quarterly, je lancerai avec mes collègues un appel à participation aux chercheurs qui ont apporté une contribution majeure dans ce domaine au cours de la dernière décennie. D’autre part, au cours des quatre prochaines années, je collaborerai avec des historiens sur la rédaction de travaux sur le thème de l’histoire de la recherche sur la Révolution culturelle. Ce projet comprendra trois parties : un examen de la littérature, une étude sociologique de plusieurs générations de chercheurs travaillant sur la Révolution culturelle et une méthodologie de la recherche sur la Révolution culturelle.