[Têtes chercheuses] Enzo D’Armenio : le jeu en tant qu’outil d’expérimentation identitaire dans le domaine de la santé

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Enzo D’Armenio est docteur en sémiotique et spécialiste de médias visuels. Il analyse ces derniers, des réseaux sociaux numériques à l’IA générative visuelle en passant par les jeux vidéo, au prisme de l’intermédialité audiovisuelle. Depuis février 2025, il est professeur junior en Sciences de l’information et de la communication dans le cadre de la Chaire « Communication numérique, Jeu et Santé » au sein du Crem (équipe Pixel, Université de Lorraine). Il est l’auteur d’une quarantaine de publications scientifiques pour des revues internationales telles que Games and Culture, Visual Communication et Semiotica, ainsi que de la monographie en italien Mondi paralleli : Ripensare l’interattività nei videogiochi [Mondes parallèles : repenser l’interactivité dans les jeux vidéo]. Il est également membre du conseil scientifique du « Séminaire International de Sémiotique à Paris » du Centre de sémiotique et rhétorique de l’Université de Liège, et du comité de rédaction de la revue Signata. Annales des sémiotiques.

 

Quel est votre parcours ?

Mon parcours scientifique débute en 2012 avec un Master en sémiotique à l’Université de Bologne et un mémoire consacré aux jeux vidéo, un travail qui a donné lieu à une monographie en 2014. Mes recherches se sont poursuivies avec un doctorat en sémiotique à l’Université de Bologne (2014-2017), au sein du Centro Internazionale di Studi Umanistici « Umberto Eco ». Dans ma thèse Tecnologie della semiosi. Il campo di una retorica intermediale nella produzione audiovisiva [Technologies de la sémiose. Le champ d’une rhétorique intermédiale dans la production audiovisuelle], j’ai articulé l’approche sémiotique – centrée sur l’analyse des discours et des valeurs – et l’approche médiatique – focalisée sur les dispositifs et les processus de communication. J’ai ainsi analysé un corpus de productions audiovisuelles qui exploitent le montage entre différents formats techniques des images (haute et basse définition ; image photographique et dessin animé) et différents régimes de croyance (documentaire et fiction) afin de produire des effets rhétoriques. En 2019 j’ai travaillé en tant qu’analyste et chercheur au sein de l’agence de communication Pomilio Blumm : j’ai analysé les stratégies de communication et l’identité – logo, charte graphique, communication sur les réseaux sociaux – d’institutions publiques telles que les Directions Générales de l’Union Européenne afin de concevoir des campagnes de communication. Ma carrière s’est poursuivie grâce à l’obtention de quatre financements postdoctoraux à l’Université de Liège, sous la supervision de Maria Giulia Dondero, dont une bourse Marie Skłodowska-Curie (Individual Fellowships) pour le projet « IMACTIS – Fostering Critical Identities Through Social Media Archival Images » (2020-22, https://www.imactis.eu). Dans le cadre de ce projet, j’ai tout d’abord analysé l’économie de l’attention et du don qui caractérise les plateformes numériques, pour ensuite intégrer les outils de la sémiotique visuelle à la théorie herméneutique de l’identité de Paul Ricœur, afin d’examiner la construction et la transformation des identités à travers les images des réseaux socionumériques.

 

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Depuis 2021, j’ai repris mes recherches sur les jeux vidéo et les pratiques dans les mondes virtuels. En essayant de dépasser les approches basées sur les concepts d’interaction et d’immersion, j’ai mis au centre le rapport entre le mouvement de l’usager sur l’interface dans le monde physique, et les mouvements accomplis dans l’espace virtuel. Il en découle que les possibilités pour les jeux vidéo et les expériences virtuelles de construire du sens résultent du rapport entre deux niveaux expressifs : les ressources des langages des images, notamment l’architecture et la caractérisation de l’espace, et les ressources sémantiques exprimées à travers les mouvements. Dans le cadre de ces recherches, j’ai aussi effectué plusieurs séjours, dont le premier fin 2022 au Center For Digital Play de l’IT Copenhagen University, et le deuxième en 2023 à l’Université de Turin, où j’ai collaboré avec les membres du projet ERC Consolidator Grant « FACETS — Face Aesthetics in Contemporary E-Technological Societies » (2018-2024, P.I. Massimo Leone).

À partir de 2023, j’ai consacré un deuxième axe d’activités scientifiques à l’IA générative visuelle. J’ai étudié la manière dont les modèles ChatGPT, Midjourney et DALL-E traduisent les requêtes verbales des usagers en composition visuelle, afin de comprendre leur fonctionnement par rapport aux bases de données d’entrainement, leurs limites, ainsi que les styles qu’ils adoptent. Ces recherches ont été l’occasion de mettre en relation la sémiotique et les SIC avec des approches informatiques. En collaboration avec la sémioticienne Maria Giulia Dondero et le mathématicien Adrien Deliège j’ai réalisé des publications pour des revues de sciences humaines (Signata, Semiotic Review) et informatiques (la collection « Lecture Notes in Computer Science » de Springer). Dans le cadre de ces recherches, j’ai aussi effectué un séjour en 2024 au sein du laboratoire ICAR de l’École Normale Supérieure de Lyon, sous la supervision de Pierluigi Basso Fossali. J’ai pu collaborer avec les membres du projet ANR « Augmented Artwork Analysis. Analysis. Computer-aided Interpretation Device for Art Images », consacré à la conception d’usages innovants des dispositifs computationnels dans les visites muséales.

À présent, je travaille au sein de l’Expressive Game Lab de l’Université de Lorraine, afin de mettre en relation les sciences du jeu et le domaine de la santé. L’enjeu principal est d’exploiter le game design pour des démarches de sensibilisation et de médiation concernant les pratiques de soin.

 

Quels sont vos projets ?

Dans mes recherches actuelles, je suis en train d’explorer les possibilités d’expérimentation identitaires offertes par le jeu. Si l’attitude ludique concerne non pas nécessairement des objets-jeux, mais une manière d’agir qui convoque d’autres règles, d’autres situations et d’autres rôles identitaires, alors elle est un outil puissant pour produire une expérience à la fois interactive et fictionnelle d’être à la place d’autrui. Cette démarche peut être mise au service de la construction de pratiques réflexives, capables d’exploiter le jeu dans les rapports entre soignant·es et soigné·es, et plus généralement afin de produire des dispositifs ludiques capables de transmettre des informations, des compétences et des émotions à travers le jeu. Je suis en train de construire, en collaboration avec Sébastien Genvo, un réseau de collaborations locales, nationales et internationales portant sur les rapports entre jeu et santé. Au niveau local, je collabore déjà avec les institutions de recherche et d’innovation rassemblées autour du projet Sirius, dont la Communauté Care, et plus généralement avec des développeurs d’applications ludiques, ainsi que des équipes médicales et de médiateurs sociaux. La prochaine étape est la valorisation des collaborations internationales que j’ai tissées au fil de mes activités précédentes, ainsi que celles déjà établies par l’Expressive Game Lab, afin de nous positionner en tant qu’acteur central sur les rapports entre jeu et santé. Les prochains projets sur lesquels je compte travailler concernent l’utilisation ludique de l’IA générative en tant que ressource thérapeutique. L’IAg peut en effet être utilisée de manière ludique, afin de produire des récits identitaires exploitant la génération automatique de textes et d’images. Cette démarche pourrait être employée dans des pratiques associant soignants, soignés et IAg, afin de relier des individus appartenant à des générations différentes, combattre l’isolement des personnes âgées, ainsi qu’œuvrer au traitement de traumatisme grâce à des outils computationnels.

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