Colloque international Rituels, arts & résistance

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Université de Lorraine, Metz
Date limite de soumission

Appel à communication avec actes

L’étude des rites présente actuellement un champ de recherche dense et ouvert qui se développe dans différentes disciplines des sciences humaines et sociales (anthropologie, ethnologie, arts, Gender et Cultural Studies, etc.), et à travers lequel diverses approches méthodologiques et cadres théoriques se croisent. S’il est vrai que les chercheur·es envisagent un socle commun – le rite pensé comme un dispositif transmis de génération en génération par les individus et les communautés tout en s’adaptant aux contextes et singularités – chaque discipline s’intéresse tout de même à des pans spécifiques du rite : ses modalités de fonctionnement systémique, ses relations à une identité commune, ses évolutions historiques et ses modalités de perpétration, ses finalités, ses sources symboliques, ses valeurs heuristique et herméneutique, etc.

Dans le champ de la recherche spécifique aux arts plastiques, nous rencontrons plusieurs usages et occurrences de la notion de rituel. Selon l’une de ces occurrences, des auteur·trices soutiennent que les œuvres performatives ne sont susceptibles de perdurer dans le temps, et donc de s’inscrire dans l’histoire de l’art et dans l’imaginaire commun, qu’à travers leur répétition – en actes, en gestes – et donc à la manière de rituels (Rebecca Schneider, Performing Remains, 2001). Aussi, à la suite du texte fondateur rédigé par le critique d’art américain Hal Foster traduit en français par « L’artiste comme ethnographe ? », l’ensemble de la sphère artistique s’accorde-t-il à dire que, depuis les années 1990, l’art aurait pris un « tournant ethnographique ». Critiques et théoricien·ne·s s’entendent par conséquent sur le fait que des artistes contemporain·e·s empruntent des méthodes ethnographiques (enquête de terrain, immersion, observation participante, etc.). Ainsi, des artistes partent à la rencontre d’autres qu’elleux-mêmes, pour les observer et en produire des représentations. Dans l’article intitulé « Art et ethnographie » paru dans la revue Marges, Claire Fagnart défend l’idée selon laquelle « l’art ethnographique ne prétend pas à une transformation du monde. L’artiste est une courroie de transmission entre des milieux, des cultures différentes ». Elle propose alors une définition de l’art ethnographique comme désignant « un art à visée documentaire et réflexive, consacré à l’autre considéré dans le cadre de sa culture, sans ambition utopique ».

Au croisement de ces perspectives, les propositions de communications s’inscriront dans le champ des sciences de l’art. Ce colloque ambitionne de questionner la manière dont les artistes réinvestissent des pratiques rituelles existantes et proposent de nouvelles formes de résistance créative. Celles-ci pourront être pensées comme des « gestes spéculatifs », placées « sous le signe d’un engagement par et pour un possible qu’il s’agit d’activer, de rendre perceptible dans le présent » (Debaise et Stengers, 2015), des gestes générateurs de récits potentiels pensés comme outils d’émancipation politique et artistique.

En effet, dans le contexte de la formation des premiers mouvements antinucléaires d’action directe non violents, Starhawk décrivait dans Dreaming the Dark. Magic, Sex & Politics les rituels comme « les évènements qui unissent une culture, qui créent un cœur, un centre, pour un peuple. Le Rituel est ce qui évoque le Soi profond d’un groupe. [...] [Ils] aident à construire une communauté, à créer un terrain de rencontre où les gens peuvent partager des sentiments profonds, positifs et négatifs – un lieu où ils peuvent chanter et crier, s’extasier ou hurler, mais également jouer ou garder un silence solennel » (Starhawk, 2015 : 234-235).

Associer l’action politique au rituel, considéré comme « un mouvement d’énergie organisé pour accomplir un but » (Starhawk, 2015 : 234), permet d’envisager la politique comme une action susceptible de transformer les personnes qui y sont investies, et, davantage, le monde qui les entoure, une action qui «nous [change] profondément [...] parce que notre transformation est intégrée à la transformation de la réalité » (Starhawk, 2015 : 244).

Durant la période de bouillonnement antimilitariste et antinucléaire aux États-Unis dans les années 1970, nombreuses sont les femmes qui, encouragées par la figure incontournable de Starhawk, se manifestent comme productrices de rituels. Il s’agit alors pour celles-ci de penser et de mettre en œuvre des rituels susceptibles de produire une puissance collective en réaction à des situations qu’elles considèrent comme inacceptables (menace nucléaire, patriarcat, capitalisme, etc.). Dans sa postface à l’édition française de Dreaming the Dark, « Un autre visage de l’Amérique ? », la philosophe Isabelle Stengers, à propos de la fête de Brigid organisée suite à l’élection de Reagan en 1981, parle du « premier rite collectif fabriqué délibérément pour faire converger politique et magie » (Stengers, in Starhawk, 2015 : 362). Parler de magie ici ne renvoie évidemment pas à l’idée d’une « intervention d’un pouvoir mystérieux et fascinant, surnaturel», mais «oser dire “magie”, c’est célébrer l’événement en tant que tel, c’est-à-dire le surgissement d’un possible, la sensation qu’a été défait quelque chose qui “liait” la pensée et la vouait donc à l’impuissance. [...] Il n’y a aucune garantie ici, [...], mais ce qu’on pourrait appeler une mise en indétermination, la création d’une inconnue qui ouvre les interstices par où se fait sentir la possibilité d’une autre histoire, même si cela reste une histoire improbable ». (Stengers, in Starhawk, 2015 : 363). Dans les sociétés contemporaines, nombres d’activistes – associé·e·s ou non à des artistes – participent à la résurgence de la perspective militante du rituel, ou la transfèrent, parce qu’étant iels-mêmes passé.e.s par les groupes Women’s Action Pentagon Action Group, Act- Up, Sidaction, ou Lesbian Avengers (La Barbe, W.I.T.C.H., Labofii – The Laboratory of Insurrectionary Imagination, le Stras Syndicat du Travail Sexuel, Witch Blocks, Cellule d’Action Rituelle à la Z.A.D. de Notre Dame des Landes, etc.). Iels conçoivent à destination de l’espace public des exemples de résistance créative inspirés de pratiques rituelles plus anciennes, et ce dans différentes perspectives de combat (altermondialiste, écologiste, féministe, etc.). En cela, iels participent à transformer la politique en matière artistique ; « les actions politiques deviennent des actions poétiques, esthétiques, qui touchent le sensible, des questions de beauté, les mouvements sociaux en sont les matériaux » (Frémeaux, 2015).

Dans le champ des arts visuels, les années 1970 sont également marquées par un réinvestissement et un renouvellement des pratiques rituelles. En 1977, tandis qu’est découvert le corps de la dixième victime des « Hillside Stranglers », les artistes Suzanne Lacy et Leslie Labowitz décident d’exprimer leur deuil, leur peur et leur colère en formulant à l’occasion d’une performance publique une critique féministe du traitement spectaculaire de ces meurtres. In Mourning and In Rage visait en outre à relier le cas singulier de ces féminicides californiens à une image plus large de la violence à l’égard des femmes à l’échelle nationale, tout en invitant celles-ci à l’action collective transformatrice « IN MEMORY OF our sisters, we fight back ! ». Au-delà de cette action spectaculaire localisée, d’autres artistes conçoivent des rituels – individuels ou collectifs, originaux ou inspirés de traditions existantes –. Certain·e·s œuvrent à l’esthétisation de la célébration (Benet Rossell, Ceremonials, 1972), poursuivent des visées thérapeutiques (Anna Halprin, Dark Side Dance, 1975), revêtent le costume de prêtresses de sociétés primitives – réelles ou imaginées – (Judy Chicago, Women and Smoke, 1971 ; Anna Mendieta, œuvre filmique de La Havane, 1948 à New York, 1985), tandis que d’autres n’hésitent pas à épouser une perspective résolument ésotérique (Temple Ov Psychick Youth, 1981-1992).

Aujourd’hui, parallèlement à la recrudescence actuelle de l’utilisation des formes rituelles dans les contextes de résistance militante, des artistes continuent à s’inspirer des pratiques rituelles, de leurs formes et de leurs significations. L’intérêt des créateur·trices pour des pratiques parfois ancestrales peut être nourri selon différentes orientations : l’évocation des interrogations métaphysiques, la recherche de nouvelles formes de spiritualité, l’attrait pour des phénomènes échappant à la raison, la réaction aux processus d’assimilation culturelle, ou encore l’engagement renouvelé pour la Nature et les formes de vies non humaines.

Ainsi, le colloque, nourri d’un horizon de réflexion convoquant le champ des études sur les rites, de ses différents cadres théoriques et approches méthodologiques anthropologiques et ethnologiques, interrogera les réappropriations ou créations des rites par et dans les pratiques artistiques contemporaines. Le colloque permettra de discuter les recherches en cours sur les propositions, aussi bien artistiques qu’artivistes contemporaines, de nouvelles formes de résistance créative et de récits potentiels pensés comme outils d’émancipation. Dans cette perspective, il vise à contribuer au renouvellement des approches critiques de la notion de rituel dans le champ de l’art contemporain.

Les propositions de communications pourront aborder ce programme à partir de l’un des quatre axes d’études suivants :

  • Approche théorique et historique des rites

  • Rituels et combats militants contemporains

  • Représentations de rituels, formes, gestes et récits

  • Les rituels en tant que processus paradoxaux d’émancipation artistique et politique

La durée souhaitée pour une communication est de 30 minutes,

Modalités de soumission

Les propositions de communication de 2 500 à 3 500 signes, espaces compris, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 15 juillet 2021, à Anne-Laure Vernet et Ophélie Naessens, aux adresses suivantes :

anne-laure.vernet@univ-lorraine.fr et ophelie.naessene@univ-lorraine.fr

La notification de l’acceptation sera donnée à la fin du mois de juillet 2021.

Le colloque se déroulera les 18 et 19 novembre 2021 à l’Université de Lorraine, sur le site de Metz.

Les textes des communications donneront lieu à publication dans la revue Proteus en novembre 2022.

 

Le PDF de l'appel est disponible en téléchargement ci-dessous pour plus d'informations.

crédits photographie : performance participative de Magda Mrowiec.

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