Dépossession. Travailler plus pour vivre moins
Le milieu des années 1980 a été marqué par la crise de la représentation et l’ère du soupçon qui ont participé à éroder la confiance des citoyens vis-à-vis des institutions et du pouvoir politique. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, cette défiance s’est manifestée de manière violente, bruyante et désordonnée, caractéristique d’un manque de repères et d’une incapacité à se projeter dans l’avenir. Comme souvent dans l’histoire, la zone d’observation la plus inquiétante se trouve dans le monde du travail. Ce champ est invisibilisé et passe sous les radars médiatiques et politiques. Pour comprendre ce qui se joue dans ce monde, des journalistes et des chercheurs sont allés à la rencontre de Français.
Cela a donné naissance à 18 entretiens menés sous forme d'enquêtes auprès de personnes représentatives de la société française : des jeunes, des personnes plus âgées, des hommes, des femmes dans des secteurs d'activités variés et appartenant souvent à une organisation syndicale. Vendeuse en cosmétique, garde forestier, sidérurgiste, musicien, factrice, infirmière, enseignant... Tous font les mêmes constats : l'inéluctable détérioration de leurs conditions de travail et l'apparition de lois qui, souvent, se font au détriment des salariés.
Le travail et son univers impitoyable
La dépossession, c'est la perte d'énergie et d'identité, les blessures physiques et physiologiques, la pression quotidienne au travail qui finit par altérer la vie personnelle, la perte d'estime de soi. « Nous nous sentions in fine tous dépossédés, d’une manière ou d’une autre. De notre vie, de notre coeur de métier et de nos libertés d’agir et de penser » (préface du livre). Tous ces témoins offrent des récits poignants, désenchantés, dans lesquels les journalistes ou chercheurs en sciences humaines et sociales ont su capter une ambiance, faire passer l'émotion.
Ces vies banales et distinctes sont les nôtres car nous avons les mêmes préoccupations. Il est question de salariat, de précarité, de bien-être au travail, de renoncement. « Tous les salariés que nous avons rassemblés dans ce livre ont le travail chevillé au coeur. L’idée de paresse ou de paresser leur est étrangère. Ils semblent avoir été éduqués et conditionnés à la nécessité de travailler pour vivre. Leur engagement s’avère souvent imprudent mais vital, même si le retour sur investissement est de plus en plus décevant. Mais, si le travail des hommes s’arrête, que se passe-t-il ? » ponctuent Jean-François Diana et Denis Robert dans leur préface. N’est-ce pas le moment de résister à la dépossession ou est-il encore possible de la transformer ?