Marier les destins
Cette étude ethnocritique des Misérables propose une relecture de l'œuvre majeure de Victor Hugo en articulant une poétique des textes littéraires et une anthropologie du symbolique. Elle envisage le roman à travers le prisme de son personnage principal, Jean Valjean, dont la représentation complexe emprunte ses caractéristiques à des univers culturels hétérogènes. L'ancien forçat suit un parcours qui le conduit à assumer les fonctions de croquemitaine, d'armièr (messager des âmes), de marieur et de pasteur. L’ensemble de ces figures, omniprésentes dans la société du XIXe siècle et dans le texte hugolien, se combinent pour créer un personnage littéraire unique. Jean Valjean apparaît en effet comme un véritable passeur qui médiatise les relations entre adultes et enfants, hommes et femmes, vivants et morts, entre le sauvage et le domestique.
L’étude des différentes figures du héros des Misérables permet de lire son destin comme une tentative singulière d’appropriation de certaines formes de la culture du peuple (récits de croyance, superstitions, légendes et contes de tradition orale, rites et coutumes). Mais l’analyse du système des personnages (Fantine, Cosette, Marius, Gillenormand) met surtout en évidence la polyphonie culturelle de l’œuvre (le verbe hugolien synthétise et syncrétise à sa façon les tensions et interactions entre culture populaire rurale et culture bourgeoise urbaine, entre culture universelle et mythique, culture locale et historique, etc). Jean Valjean, en mariant les destins et les cultures, propose une solution originale au problème central des Misérables : décrire et raconter l’avènement du peuple.