En jeu. Histoire et mémoires vivantes
La Première Guerre mondiale consacre l'émergence d’un nouveau genre littéraire sur la scène éditoriale européenne : le témoignage. Rares furent ceux qui s’avisèrent, à l’époque, de la valeur inestimable des écrits de combattants stupéfaits par ce qu’ils avaient découvert au front et déterminés à faire connaître aux vivants le vrai visage de la guerre vécue. La clairvoyance de Jean Norton Cru (1879-1949) n’en est que plus remarquable, lui qui passa vingt-huit mois dans les tranchées et quinze ans à s’interroger sur la forme que ses compagnons d’armes avaient choisi de donner à leurs écrits. Dans Témoins (1929), il mène de front un double projet de critique des témoignages et de valorisation du genre – les deux gestes étant indissociables. Toutefois son entreprise, novatrice et radicale, s’est vue contestée dès l’origine, donnant lieu dans l’entre-deux-guerres à une bataille critique qui a encore connu quelques répliques à l’orée du XXIe siècle, et dont on n’a pas fini aujourd’hui de sonder les enjeux idéologiques. En démontrant l’intérêt à la fois documentaire et littéraire de textes passés souvent inaperçus, Jean Norton Cru initia une réflexion qui continue, un siècle plus tard, de nourrir la recherche au sein des diverses disciplines confrontées à la question du témoignage et aux œuvres nées dans le sillage des violences de masse.