[Têtes chercheuses] Guy Achard-Bayle : nouveau président de l’Association des sciences du langage
Professeur émérite en sciences du langage de l’Université de Lorraine, membre du Crem et spécialiste de la linguistique textuelle, Guy Achard-Bayle a été élu le 28 février 2020 président de l’Association des sciences du langage (ASL).
Quel est votre parcours ?
J’ai une double formation en linguistique (maîtrise, diplôme d’études approfondies – DEA – et doctorat) et langue et littérature françaises (licence, certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré – Capes – et agrégation). J’ai acquis mes diplômes entre la fin des années 1960 et le début des années 1990 à l’Université de Provence Aix-Marseille I, à l’Université Paris 7 et à l’Université Nancy 2. Parallèlement, j’ai suivi diverses formations en français langue étrangère (FLE), dont une longue en 1980-1981 au Bureau d’études pour la langue et la culture françaises (BELC) financée par le ministère des Affaires étrangères.
Après une quinzaine d’années passées comme enseignant et attaché linguistique à l’étranger (Maroc, Cameroun, Autriche, Portugal), j’ai commencé une carrière universitaire en FLE et sciences du langage à Toulouse (Université Toulouse 2-Le Mirail), puis Paris (Université Pierre et Marie Curie, Université Paris X Nanterre, et de nouveau Université Pierre et Marie Curie-Paris 6) où j’ai exercé comme professeur certifié, agrégé, puis maître de conférences. Après mon habilitation à diriger des recherches présentée à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 en 2001 sous la direction de Michel Charolles (qui a aussi dirigé ma thèse soutenue en 1996 à l’Université Nancy 2), j’ai obtenu en 2004 à l’Université de Metz un poste de professeur orienté « linguistique textuelle », ce qui est ma spécialité et l’une de celles des universités messine et nancéienne qui ont depuis fusionné au sein de l’Université de Lorraine. Ce domaine consiste à analyser les productions langagières essentiellement du point de vue de leur cohésion, c’est-à-dire des outils linguistiques qui assurent le bon fonctionnement, soit l’assemblage effectif et compréhensible, d’une suite plus ou moins longue de propositions. Michel Charolles et Bernard Combettes à Nancy et André Petitjean à Metz sont les principaux initiateurs et illustrateurs de ce champ disciplinaire. Dans les rangs des auteurs majeurs de ce « cercle lorrain », même s’il n’a jamais occupé de poste dans un établissement de la région, il faut aussi mentionner Jean-Michel Adam (actuellement professeur honoraire à l’Université de Lausanne, Suisse) qui a beaucoup fait pour la fondation d’une linguistique textuelle « à la française » : dès l’origine, il a participé à de nombreuses livraisons de la revue Pratiques et co-rédigé un ouvrage avec André Petitjean qui a fait date dans notre domaine : Le Texte descriptif. Poétique historique et linguistique textuelle (Nathan, 1989).
Mon parcours d’enseignant-chercheur m’a permis de participer aux travaux et projets de diverses équipes de recherches dans les années 1990-2000 : Ordinateur et didactique des langues (Ordi) de l’Université Pierre et Marie Curie-Paris 6 et l’Université Paris Diderot-Paris 7 ; Langue, discours, cognition (Landisco) de l’Université Nancy 2 ; Linguistique textuelle de l’Université Paris X Nanterre ; Langues, textes, traitements informatiques, cognition » (Lattice) de l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et de l’École normale supérieure. Après mon élection à l’Université de Metz, j’ai rejoint le Centre d’études linguistiques des textes et des discours (Celted), qui a lui-même rejoint le Crem en 2010.
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
À partir des années 2010, quand j’ai commencé à collaborer étroitement avec des collègues tchèques membres du Cercle linguistique de Prague, j’ai orienté mes travaux vers l’épistémologie des sciences du langage et de la linguistique textuelle. Dans cette dernière, les travaux pionniers conduits à Metz et Nancy m’ont conduit à parler d’une « École lorraine » comme on parle d’une École de Prague, à en explorer et exposer les spécificités. Car si, notamment, les travaux de Bernard Combettes ont été inspirés par ceux des Pragois, on a vu des avancées remarquables dans nos universités, particulièrement sur la question des types de progressions thématiques : sur la manière dont évolue un thème (« ce dont on parle ») dans un fragment de texte (par exemple un paragraphe, ou entre paragraphes) et suivant le genre et le type de texte (une recette de cuisine par exemple, qui répond à des règles de composition, d’exposition et de progression, souvent stéréotypées) ; ou encore sur le rapport entre cohésion et cohérence, autrement dit entre les outils de la langue qui assurent la première (par exemple les désignations et leurs reprises au fil du texte, soit les noms repris par des pronoms) et les relations au monde (autrement dit le thème tel que le texte le représente) qui fondent la seconde. La didactisation de ces recherches textuelles est aussi une caractéristique majeure des travaux menés sur les sites lorrains. Ainsi, à la fin des années 1970, Bernard Combettes a-t-il publié avec deux collègues, deux manuels destinés aux classes de collège, intitulés de manière explicite De la phrase au texte, qui ont permis de faire évoluer l’enseignement grammatical en initiant les élèves à l’organisation des textes : par exemple, pour le texte narratif, l’accent était mis sur l’opposition entre les premier et second plans, la représentation de l’action et la description, la dimension du temps et celle de l’espace, là où la tradition grammaticale se focalisait sur l’usage des temps verbaux : passé simple et imparfait.
Par ailleurs, dès mon doctorat, ma spécialisation en linguistique textuelle a pris un tour sémantique et cognitif : Michel Charolles, était alors directeur du programme interdisciplinaire du CNRS « Cognisciences ». Depuis lors, je me suis donc intéressé à la sémantique logique et référentielle, qui s’est également illustrée à Metz grâce à Robert Martin et Georges Kleiber. Ma spécialisation en la matière consiste à étudier ce que j’appelle les « contextes évolutifs », c’est-à-dire la manière dont les identités soumises à des changements sont représentées dans les textes, entre autres les recettes et les récits de métamorphoses.
La recherche que je poursuis aujourd’hui dans le cadre de ces deux épistémologies consiste à poser les principes d’une analyse combinée – j’insiste sur l’adjectif – des textes du point de vue de deux dynamiques : celle résultant des genres et de l’organisation même des textes (par exemple un texte narratif n’obéit pas aux mêmes règles de construction qu’un texte descriptif), et celle issue des évolutions de la référence (par exemple une métamorphose) telles que les outils de la langue permettent de les représenter.
Enfin, l’intérêt que j’ai toujours porté à la didactique des langues (qui m’a notamment poussé à encadrer nombre de thèses dans le domaine) me conduit aujourd’hui à mener des recherches, notamment avec des collègues d’universités italiennes (Bergame, Bologne, Milan), sur la question et sur les terrains de l’apprentissage linguistique destiné aux migrants.
Quels sont vos projets ?
Dans le domaine didactique, dans le prolongement du colloque international Enjeux de l'acquisition des langues secondes en contextes migratoires (21-22 septembre 2018, Metz) et de la publication de ses actes coordonnés avec Enrica Galazzi (de l’Università Cattolica del Sacro Cuore, Italie) et Aurora Fragonara en 2019 dans la revue italienne Repères-Dorif (accessible en ligne), je vais soumettre un projet de recherche réunissant une équipe de doctorants du Crem et de collègues et jeunes chercheurs d’Italie dans le cadre du Partenariat Hubert Curien Galilée 2021 mis en œuvre par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et son homologue italien. Ce projet concernera donc à la fois le français et l’italien langues étrangères, deux terrains et la question croisée de la prise en compte des dimensions (inter-)culturelle et citoyenne d’une formation linguistique destinée à ce type de public.
Je prévois aussi de publier un ouvrage sur « les deux dynamiques du texte » dont j’ai déjà parlé. Mon objectif est de rassembler ou combiner deux cadres d’analyse des textes et les méthodes et outils afférents : la sémantique référentielle qui s’intéresse à la représentation des entités en discours et la linguistique textuelle qui, dans ce cas, sera mobilisée pour appréhender la variété et la continuité de leur(s) dénomination(s). Autrement dit, il s’agit de voir comment la cohérence et la cohésion vont (plus ou moins) de pair au fil du texte et suivent le « fil » que « tisse » le texte – on comprend mieux ces métaphores métalinguistiques si l’on se souvient que texte vient du latin textus, comme textile.
Mon dernier projet concerne évidemment ma présidence toute neuve de l’Association des sciences du langage. Cette association a pour principe et fondement la défense-illustration des sciences du langage à l’Université comme auprès d’autres institutions. Pour autant, chaque président ou présidente, avec son bureau, a pu lui donner des orientations propres. Pour ma part, et parmi les nombreux dossiers et défis auxquels notre discipline et notre profession ont ou auront à faire face, je me suis notamment engagé, d’un côté, à développer le soutien apporté aux doctorants et jeunes chercheurs et, de l’autre, à initier au niveau international des relations avec d’autres associations œuvrant dans le même sens. À ce propos, l’intégralité de ma « lettre d’intention » en tant que candidat à la présidence de l’association est publiée sur son site avec le compte rendu de l’assemblée générale du 28 février dernier qui a vu mon élection.