Questions de communication, 22 : « Patrimonialiser les musiques populaires et actuelles »
Que Karl Marx me pardonne, mais il se pourrait bien qu'« un spectre hante le rock »… Le spectre du rock qui n’en finit pas de hanter le rock lui-même, quelque chose d’équivalent à ce que Simon Reynolds (2012) a appelé en une formule saisissante « l’empire du rétro » à propos de la pop actuelle, et qui le conduisit même à supplier qu’on laissât enfin Kurt Cobain reposer en paix, tant il est clair que le désir mortifère qui sous-tend la compulsion rétromaniaque est à l’exact opposé de la pulsion de vie – et de transgression – sur laquelle le rock a construit sa légende et sa puissance de contamination sociale.
En effet, depuis le début des années 2000, le retour spéculaire du rock sur lui-même semble être devenu la caractéristique majeure d’une culture qui valorise la nostalgie, le recyclage et l’autocitation (à grand renfort de samples), qui multiplie les mausolées dédiés à sa propre gloire et dépose dans la crypte du Rock and Roll Hall of Fame ou du Musée du rock situé au cœur du complexe culturel et commercial de Las Arenas à Barcelone les fantômes des Beatles ou d’Elvis. Des fétiches – guitares, costumes de scène, etc. – y sont présentés à la dévotion des admirateurs : ils y interrogent souterrainement notre rapport à la marchandise (mais pourquoi diable le rock serait-il soustrait au regard de Karl Marx ?) et le lien en apparence paradoxal du rock au capitalisme. (…)