[Têtes chercheuses] Pauline Hervois : l’enquête statistique pour mieux comprendre le rapport de la population française à la science
Pauline Hervois est post-doctorante au Crem dans le cadre de la préparation du colloque international de culture scientifique et technique Science & You (15-19 novembre 2021). Elle mène actuellement une analyse de sondages intitulée « Les attitudes du public français face à la science » qui est la plus longue série ininterrompue de données au monde sur l’opinion publique envers la science et elle conduira bientôt une enquête sur cette même thématique en région Grand Est.
Quel est votre parcours ?
Après un diplôme universitaire de technologie en statistique et informatique décisionnelle à l’Université Paris-Descartes, je me suis orientée vers des études de démographie en sciences de la population (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) où j’ai affiné mes connaissances en analyse quantitative des données sur les populations. J’ai ensuite entamé une recherche doctorale à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et au Centre de recherche de l’Institut de démographie de l’Université Paris 1 (Cridup). Mon parcours de « technicienne » des statistiques et mes intérêts pour l’histoire des populations m’ont alors conduite à proposer une recherche sur les recensements du XIXe siècle.
En 2018, j’ai soutenu une thèse de démographie intitulée Du non-sens de recenser les insensés : fabriquer le chiffre de l’infirmité en France au XIXe siècle. Cette recherche portait sur la manière dont l’État s’est emparé des enjeux quantitatifs autour des populations infirmes (aveugles, sourds-muets, aliénés, idiots, crétins, goitreux) et sur le regard critique porté par les savants – essentiellement des médecins – sur ces productions statistiques. Pour cela, je me suis principalement appuyée sur les recensements quinquennaux de population (entre 1851 et 1876) et sur les comptes rendus relatifs au recrutement militaire (qui font état des exemptés pour cause d’infirmité ou de maladie). En mobilisant le contexte social et scientifique de l’époque, j’ai révélé les ambitions de cette démarche de mesure, motivée par des politiques d’assistance aux infirmes par l’éducation et par le soin. J’ai ensuite analysé les processus de productions statistiques (construction des catégories, méthode de collecte, etc.) ce qui m’a permis de démontrer une multitude d’obstacles à la construction de ces données.
Mes recherches ultérieures s’inscrivent dans la continuité de cette thèse. J’étudie les théories de la dégénérescence de la population, qui se sont développées au XIXe siècle et plus particulièrement dans les années 1850-1860. Mon analyse repose sur l’étude des arguments statistiques et des sources mobilisées dans ce contexte scientifique au sein duquel deux mouvements ont confronté leurs démonstrations et leurs conclusions opposées. C’est donc dans une approche d’histoire des sciences, des savoirs et des croyances que se positionnent ces études.
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
J’ai eu le plaisir d’intégrer cette année le projet Science & You, qui m’offre l’occasion de conjuguer mes intérêts pour les questions de science et mes techniques d’analyse des données (quantitatives et qualitatives).
L’étude que je mène dans ce projet se déroule en deux grands moments. Le premier est consacré à l’analyse quantitative de données de sondage. Cette enquête porte non seulement sur la confiance des Français·es envers la science, mais elle les conduit aussi plus largement à parler de leur perception de la science (par exemple, ce qui en est et ce qui n’en est pas) et des enjeux politiques des recherches scientifiques. De plus – et c’est une particularité qui m’a beaucoup attirée – ce sondage propose une approche sur le long terme. En effet, la première vague de cette enquête a été menée en 1972 et cette année (en 2020), nous réalisons la huitième vague avec la répétition d’un certain nombre de questions. Nous allons ainsi pouvoir saisir les évolutions des relations entre populations et sciences et étudier des caractéristiques propres à des générations (ou groupes d’âge) sur près de 50 ans, puisqu’il s’agit là de la plus longue série interrompue de données au monde sur l’opinion publique envers la science. Enfin, étudier le contexte très particulier (crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19) dans lequel s’inscrit ce sondage promet des résultats riches sur la façon dont les Français·es perçoivent les institutions scientifiques et leurs travaux.
D’ici quelques mois – et c’est la seconde partie du projet –, la réalisation d’entretiens dans le Grand Est permettra de mieux comprendre ces analyses statistiques.
Enfin, nous aurons le plaisir de présenter ces résultats à l’occasion du colloque international de culture scientifique et technique Science & You, qui se tiendra en novembre 2021.
Quels sont vos projets ?
J’espère que cette recherche postdoctorale me servira de tremplin pour poursuivre mon parcours dans l’enseignement supérieur et la recherche. Quoi qu’il en soit, je suis convaincue qu’elle me permettra d’ajouter de nouvelles cordes à mon arc, notamment dans la mise en place et l’analyse d’enquête. Je suis également impatiente de découvrir l’opinion des Français·es et leurs relations aux recherches sur la santé, notamment en fonction de leur groupe d’âge.