Rencontre(s) avec la généricité
Présentation
« L'heure n'est pas encore à la synthèse », écrivions-nous, M. Galmiche et moi-même, dans l'avant-propos du no 57 de Langages consacré au générique et à la généricité. La formule garde toute sa valeur pour ce recueil d'articles portant sur le même sujet. Le titre en indique clairement l'orientation et l'intention. Il ne s'agissait ni de tenter une mise au point ou de dresser un état des lieux à visée exhaustive, ni d'offrir une théorie calibrée ou corsetée dans l'orthodoxie sereine d'une théorie du "tout-venant" linguistique. Le présent ouvrage poursuit deux objectifs beaucoup plus modestes :
1. contribuer, par la diversité des approches et points de vue exprimés et par une certaine extension dans le temps (le moyen-français) et l'espace (le japonais), à l'établissement de la généricité comme un problèmeper se ;
2. faire progresser les connaissances que nous avons en ce domaine par un double apport: en premier lieu, par la mise en relief de nouveaux phénomènes et l'ouverture de nouvelles pistes de recherches, et, en second, par la production de nouveaux éléments de réponse à des questions déjà soulevées et discutées antérieurement.
B. Combettes a choisi de défricher un secteur mal connu, celui du marquage de la généricité en moyen-français. Dans un article fort suggestif, il propose une explication en termes "fonctionnalistes" (Danès) au problème de la concurrence article défini générique / article zéro générique. Son étude constitue un point de départ stimulant, non seulement pour d'autres investigations dans le champ d'étude de "'ancienne langue", mais également pour des recherches sur le rapport de la généricité "en général" avec les données pragmatiques fonctionnelles.
Au sein des phrases non épisodiques, G. Guéricolas explore la voie de la généricité "dispositionnelle", reconnue jusque là presque uniquement par les philosophes. Son article trace les contours de ce type de phrases et en dégage les principales caractéristiques qui les opposent aux phrases habituelles.
Un syntagme nominal ayant comme tête un nom propre peut-il être générique ? Telle est l'interrogation qui sert de sujet à la contribution de K. Jonasson. La réponse, affirmative, qu'apporte K. Jonasson, éclaire, par des données nouvelles, le rôle des différents déterminants génériques, souligne la particularité sémantique des noms propres et cerne l'importance relative des prédicats.
Constatant l'absence d'une définition univoque de ce qu'on entend exactement par SN générique , H. Lazzaro et moi-même essayons de cerner la réalité du phénomène de la généricité nominale en trois étapes: une clarification des réponses habituellement fournies, une définition plus adéquate en termes essentiellement temporels et une esquisse de traitement de ce que nous avons appelé le paradoxe de la généricité nominale .
C'est un secteur tout nouveau qu'aborde la contribution de M. Laparra Travaillant sur un corpus oral d'enfants, elle essaie de répondre à deux questions concernant l'emploi de SN génériques: a) quand y a-t-il utilisation d'expressions génériques ? et b) comment se fait le passage du spécifique au générique (et vice versa) ?
J.-M. Léard délaisse les approches classiques, sémantiques ou syntaxiques, pour un regard morpho-syntaxique. Regard différent qui a l'avantage de dégager des faits souvent ignorés et de proposer en même temps des rectifications sur le traitement de certains autres.
Dans sa vaste quête du fonctionnement de ça, M. Maillard ne pouvait éviter la rencontre avec la généricité : sa contribution décrit de façon attrayante et dynamique les différentes facettes du ça générique.
C. Muller reprend la question de l'indéfini générique en s'attachant plus particulièrement à expliquer les ressemblances et différences entre un générique et tout. Selon l'hypothèse détendue, tout représente la combinaison d'un opérateur d'implication avec un générique, qui, lui, provient d'une opération d'individuation construisant, dans un ensemble nombrable, un individu interchangeable.
L'entreprise de L Picabia est de prime abord paradoxale, puisqu'elle consiste en une description de la généricité d'une structure, en l'occurrence ILY A N, dont le constituant il y a sert d'habitude à mettre en relief la non généricité. La résolution de ce paradoxe passe par l'interprétation de telles séquences comme étant le résultat de la quantification opérée par l'article zéro sur une nominalisation.
C'est la généricité verbale qui a retenu l'attention de H. de Swart. Elle propose une extension de la sémantique des situations de Barwise et Cooper aux phrases habituelles du type Tweety dort. Chemin faisant, c'est une formalisation de la généricité tout entière qui se met en place dans son travail.
I. Tamba a pris pour champ d'étude l'expression du générique et de la généricité en japonais. La comparaison avec le domaine du français se révèle particulièrement instructive en ce qu'elle fait ressortir, à côté de points de rencontres occasionnels, une différence fondamentale dans les mécanismes expressifs mis en œuvre dans les deux langues.
Table des matières
- B. COMBETTES : Marqueurs de généricité et ordre des mots : article défini et déterminant zéro en moyen-français
- C. GUERICOLAS : Les phrases dispositionnelles : une approche informelle
- K. JONASSON : Articles génériques et noms propres modifiés
- G. KLEIBER et H. LAZZARO : Qu'est-ce qu'un syntagme nominal générique ? Ou les carottes qui poussent ici sont plus grosses que les autres
- M. LAPARRA : Degrés de l'explicitation de la lecture générique de certains syntagmes nominaux dans un corpus de langue orale
- J.-M. LEARD : Quelques aspects morpho-syntaxiques des syntagmes et des phrases génériques
- M. MAILLARD : "Un zizi, ça sert à faire pipi debout !". Les références génériques de ça en grammaire française
- C. MULLER : A propos de l'indéfini générique
- L. PICABIA : Quand y a-t-il générique ?
- H. DE SWART : Phrases habituelles et sémantique des situations
- I. TAMBA : Quelques aspects des expressions génériques en Japonais