La notion d'Aspect
Présentation
Il est vrai que le consensus s'est fait tout d'abord sur la difficulté même du sujet. On a rappelé non sans raison la diversité des marques aspectuelles : tantôt l'aspect s'exprime par des oppositions flexionnelles ou thématiques, tantôt par des moyens lexicaux {système préfixal, périphrases verbales,...), tantôt il se loge dans le contenu sémantique du verbe lui-même ; une telle variété fait que deux langues peuvent n'avoir rien de commun pour exprimer des concepts pourtant voisins. D'entrée, les communications de E. Coseriu et de M. Ruiperez ont montré en détail - dans une perspective fonctionnaliste - à quel point se mêlent le lexique et la grammaire.
Il s'y ajoute la proximité d'autres catégories conceptuelles : celle, évidente, du temps ; celle, plus difficile à démêler, du mode ; celle enfin de la diathèse, a priori troublante ; qu'on se reporte aux interventions de J. Larochette, de M. Wilmet, de J.-M. Zemb ou de B. Pottier : toutes s'efforcent de clarifier les relations complexes que l'aspect entretient avec ces catégories. Rien d'étonnant que les marques soient si extraordinairement intriquées : la sémiologie de l'aspect n'a rien de transparent - à quelques exceptions près (les langues slaves ou le grec ancien) dont on ne s'étonne pas qu'elles jouent un tel rôle dans les discussions sur l'aspect. Il reste que le contenu aspectuel d'un verbe peut varier avec sa construction, transitive ou intransitive (écrire / écrire une lettre). Même les déterminants du substantif ne sont pas sans répercussions sur le contenu aspectuel. Que l'on compare, entre mille exemples, cueillir des fleurs et cueillir une fleur : on peut s'arrêter de cueillir des fleurs, puis reprendre la cueillette; mais pas une fleur
En fait on se heurte - mais plus ici qu'ailleurs - à une des difficultés majeures de l'analyse linguistique : celle de l'intrication des données. Pas une notion isolable sans reste. Pas une catégorie qui ne soit solidaire de sa voisine. Pas un concept qui ne charrie tout un filet de relations complexes. Grande est la distance avec les langages construits - en toute rigueur d'abstraction ! - par les logiques formelles et par les mathématiques. Les structuralistes nous ont habitués à l'idée du système où tout se tient : un système à vrai dire de relations si diversement nouées qu'il en a toute la complexité du tissu vivant.
Cela est vrai surtout des notions sémantiques - et celle d'aspect, comme le remarque à juste titre M. Gross, est engluée dans la surabondance des constructions conceptuelles. L'explosion terminologique est inévitable, et c'est une rude tâche d'articuler les distinctions plus ou moins subtiles et plus ou moins pertinentes que, sous des étiquettes diverses, les linguistes peuvent faire : à preuve la judicieuse synthèse tentée par J. François dans les Cahiers du DRLAV.
On comprend dès lors que certains des participants aient évité, même dans un Colloque sur l'aspect, de se servir d'une notion si chargée de connotations et d'une si grande difficulté. Les regards se tournent alors vers les logiques temporelles et modales, où la notion d'aspect n'a pas au départ de place et dont les objets formels, rigoureusement définis, permettent une approche singulièrement renouvelée des faits de langage. Ainsi le terme d'aspect n'a été utilisé ni par G. Stahl, ni par C. Rohrer, tous deux fascinés par la construction logique.