Culture & Musées, 43
Depuis une trentaine d’années, la question des relations entre cinéma et musées est régulièrement posée au sein du monde académique — toutes relations constituant par ailleurs une préoccupation constante pour de nombreuses institutions patrimoniales et culturelles. Alors que les musées et les expositions du cinéma se multiplient à l’échelle mondiale — non sans renouveler les premières formes de l’expographie —, et que les programmations de films au musée se font aussi régulières que le recours aux images animées (artistiques ou didactiques) dans le parcours de l’exposition ; alors que des documentaires sur les musées sont projetés dans les salles obscures (exemplairement, National Gallery, F. Wiseman, 2013), quand les films de fiction (de tous bords : du cinéma d’auteur jusqu’au blockbuster) se sont emparés de « l’objet muséal » depuis bien longtemps, comment ressaisir aujourd’hui ces relations entre le cinéma et le musée ? Nous partirons en l’occurrence de l’interrogation suivante : au moyen de quelles approches (théoriques et analytiques) ces relations peuvent-elles être étudiées ?
Axe 1 – Histoire des musées et des expositions de cinéma
Les travaux relatifs à la patrimonialisation du cinéma se sont faits plus nombreux au cours de la seconde moitié des années 2000. Le plus souvent, ils adoptent la forme d’une histoire institutionnelle : celle d’une cinémathèque ou d’une archive du film, comme l’attestent les ouvrages de Laurent Mannoni (2006), Haidee Wasson (2005) ou Bregt Lameris (2017), par exemple. Antérieurement, des recherches pionnières (à l’instar de celles de Donata Pesenti ou de Christophe Gauthier) avaient posé le problème de la patrimonialisation du cinéma. Des travaux récents l’ont remis sur le métier (cf. Louis 2013, 2020 ; Cere, 2021), invitant à une approche comparée de différentes propositions muséographiques, fondée tout à la fois sur la confrontation des dispositifs, et des réseaux et politiques culturels dont ils résultent.
Dans ce contexte, ce premier axe propose de se pencher sur l’histoire des musées de cinéma en tant qu’ils suscitent des problématiques muséales distinctes ; ainsi que sur l’histoire des expositions, en s’interrogeant particulièrement sur la manière dont ces dernières ont pu réfléchir le processus de « l’entrée du cinéma au musée » et, par conséquent, la transformation du statut de ses objets. Si une telle réflexion a pu être engagée au sujet des appareils cinématographiques (Mannoni, 2003), on souhaiterait qu’elle puisse être étendue à d’autres catégories d’objets patrimoniaux du cinéma. En outre, une dimension comparative et internationale serait bienvenue pour mettre en évidence des singularités et des points de recoupements entre les pratiques institutionnelles. À cet égard, on sera sensible aux propositions mettant en lumière de nouveaux corpus, notamment en contexte post-colonial.
Axe 2 – Formes contemporaines de l’exposition du cinéma : théorie, esthétique
A ce premier axe travaillant la dimension historique des musées et des expositions, viendront s’articuler des réflexions centrées sur les différentes formes de la « mise en exposition » du cinéma, croisant approches esthétiques, théoriques, et analyses de dispositifs actuels. Il s’agira dès lors d’entrer dans le détail des dispositifs. Si le Musée du cinéma d’Henri Langlois au Palais de Chaillot — avec ses multiples projecteurs 16mm jalonnant le circuit — peut faire emblème, les trois dernières décennies ont été celles d’une redynamisation des pratiques aussi bien que de la réflexion sur l’exposition du cinéma (cf. Païni, 1992 ; Michaud, 2006). Sans doute, cette analyse peut s’élaborer en concertation avec l’histoire de l’art, comme elle est susceptible de se rattacher aux études de médiation culturelle, ou encore aux sciences de l’information et de la communication (cf. Crenn, 2011).
Quels que soient les cas soumis à l’étude et les approches élues, l’enjeu consistera à se demander ce qui, du cinéma, se voit (ou s’est vu) exposer, et comment ? En d’autres termes : quels sont les expôts du cinéma ? Une telle question engage la nature des sémiophores ainsi que les discours expographiques qu’ils étayent. On comprendra que l’approche de la mise en exposition du cinéma ne se limite pas à la pratique des expositions dites « extra-film », mais implique globalement la présentation voire l’installation de tout ou partie du dispositif cinématographique (film inclus) au sein de l’espace muséal.
Axe 3 – Analyse de la muséalité par fictions filmiques interposées
Dans le prolongement d’un ouvrage récemment consacré aux « fictions du musée au cinéma » (voir infra : Jibokji, Le Maître, Pernac, Verraes, 2016), le troisième axe de cet appel invite à interroger les représentations cinématographiques de la muséalité en se fondant, tout spécialement, sur l’analyse de fictions filmiques. À cet endroit, notre hypothèse est, en substance, que le récit de fiction constitue possiblement l’instrument d’une perception critique de la réalité muséale — de ses grandes logiques comme de ses gestes princeps.
Exception faite de la préséance accordée aux récits de fiction, aucun cinéaste, aucun corpus ne s’impose a priori. Cependant on privilégiera les propositions, tantôt focalisées sur des musées moins considérés que ceux liés aux Beaux-Arts, par exemple, le Muséum d’histoire naturelle, ou le Musée ethnographique ; tantôt mettant l’accent sur des aspects du phénomène muséal aussi bien que sur des films rarement abordés.
Références bibliographiques
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Envoi des propositions d’articles
Merci d’adresser vos propositions d’articles (5000 à 7000 signes) par courriel avant le 6 janvier 2023 à :
- Barbara Le Maître : barbara.lemaitre[at]parisnanterre.fr
- Stéphanie-Emmanuelle Louis : stephanie.louis[at]chartes.psl.eu
- avec copie à : eric.triquet[at]univ-avignon.fr et pauline.grison[at]univ-avignon.fr
Mise en forme des propositions d’articles
- 5000 à 7000 signes espaces comprises
- Le document au format .docx sera précisément nommé comme suit : CM-43-PC-Nom de l’auteur (ou auteur principal si plusieurs auteurs).
- Le document est écrit avec la police Times new Roman, corps 12, texte justifié à droite et à gauche.
Il comporte, par ordre de présentation :
- NOM et prénom de l’auteur 1
- Courriel
- Statut : qualité et rattachement institutionnel (université, unité de recherche)
- Fonction
- Biographie (600 caractères maximum)
Idem pour l’auteur 2, 3 etc., si plusieurs auteurs.
- Titre de la proposition d’article
- Le texte de la proposition d’article détaillera l’ancrage disciplinaire ou interdisciplinaire de la recherche, la problématique, le terrain ou le corpus, la méthodologie employée et une première projection sur les résultats.
- 5 mots-clés
- 5 références bibliographiques mobilisées dans le projet d’article
Calendrier
- 6 janvier 2022 : Réception des propositions d’articles.
- 20 janvier 2023 : Retour aux auteurs (acceptation ou refus de la proposition).
- 19 mai 2023 : Réception des articles complets
- Mai-juin 2023 : Expertise des articles en double aveugle.
- 30 juin 2023 : Retour aux auteurs (acceptation ou refus de publication suite aux expertises)
- 15 septembre 2023 : Réception des V2 des articles
- 30 octobre 2023 : Réception des version finales des articles avec les métadonnées
- Novembre 2023 – Mai 2024 : Traduction, correction et maquettage
- Juin 2024 : Publication du numéro.
Contacts
- Barbara Le Maître, Université Paris Nanterre : barbara.lemaitre[at]parisnanterre.fr
- Stéphanie-Emmanuelle Louis, École des Chartes : stephanie.louis[at]chartes.psl.eu