Jack Goody
« Les publications du célèbre anthropologue du St John’s College de Cambridge ont concerné des “dossiers” aussi variés que la géographie culturelle des pratiques culinaires, le culte des fleurs et ses rites impensés, l’histoire de la famille et du mariage sur la très longue durée, les représentations figuratives prises entre tabous et totems, les échanges et les conflits entre Orient et Occident ou encore le grand récit européo-centré de l’histoire du monde.
J. Goody eut un intérêt à la fois civique et théorique à comprendre les enjeux anthropiques (et sociaux) de l’humanité sur des sujets plus que jamais brûlants : le relativisme culturel et ses politiques, la guerre des/aux images, l’écriture de l’histoire, la résistance multiforme des plus faibles à la domination, etc. Cet investissement pluridisciplinaire au long cours fut pugnace et passionné, quitte à faire couler beaucoup d’encre [...]. Car Goody avait l’hypothèse érudite et la disputatio redoutable (avec/contre F. Braudel, N. Elias, J. Derrida ou Cl. Lévi-Strauss, par exemple). Mais à vrai dire c’est plutôt l’esprit critique voire autocritique du chercheur qui fut à son agenda, cinquante ans durant. Vers la fin de sa vie, il eut particulièrement à cœur – semble-t-il – de revenir sur des partis pris datés ou sur ses propres approximations. Il appliqua à lui-même ses propres règles de la méthode : looking back and looking around. Il avait vraiment à cœur d’expliquer toujours mieux et de s’expliquer en premier à lui-même les questions anthropologiques qu’il se posait ou qui s’imposaient dans la communauté scientifique internationale ; et, si besoin était, reconnaître les impasses de ses propres présupposés (la supériorité intrinsèque du système alphabétique ou l’hellénocentrisme des premières études publiées sous sa direction, par exemple). »
Extrait de Jean-Marie Privat, « Jack Goody (1919-2015). La domestication de l’écrit », Hermès, 73, p. 253-258